Les oeuvres cinématographiques, audiovisuelles, romanesques, sont nos « mythes ». L’affaire est entendue. Toute oeuvre tombe, de manière légitime, sous le coup de la nécessaire « critique », qui, par principe, entend nous donner la « mesure » de la chose, ce qu’elle vaut, en elle-même et pour nos échanges.
Le film « Trap » qui vient de sortir sur les écrans en France est ainsi évalué par des médias spécialisés, par des spectateurs, et les avis sont nettement divergents, opposés. Un média « culturel » dont nous ne donnerons pas le nom, pour ne pas leur faire une publicité gratuite et pour ne pas porter atteinte à leur honneur, diffuse une « critique » non-critique, dans laquelle il n’y a, intellectuellement, rien, sauf un jugement pour dire que le film est nul. Pourquoi une rédaction en chef accepte de publier de tels textes, intrigue, mais, apparemment, la presse a horreur du vide, quitte à le remplir avec du vent. Notre propos, ici, n’est pas de donner une évaluation à ce film, n’est pas de contredire un tel jugement, mais de constater qu’un récit n’est pas seulement composé par des actes/choix intentionnels, rédactionnels, du scénariste, dialoguiste, réalisateur, mais qu’il est influencé par « l’air du temps », qu’il peut l’évoquer, et ainsi, donner un sens parmi d’autres à son oeuvre.
Comme la bande-annonce ci-dessus le révèle, le sens du récit est connu d’emblée, dès le début du film, narré par un personnage secondaire qui explique au personnage principal ce qui arrive : « Je suis pas censé vous le dire. Vous connaissez le boucher ? L’espèce de taré qui découpe des gens en petits morceaux. Les flics ont appris qu’il allait être ici, là, aujourd’hui. Ils ont monté un guet-apens… ». Et le personnage principal écoute et exprime sa compréhension – sauf que les spectateurs ont compris, savent que ce bon père de famille, pompier, bien sous tout rapport, aimable, sociale, est… le boucher. Et, enfin pourrait-on dire, à contrario du principe culturel indo-européen qui établit que les bons sont beaux et les méchands sont laids, que les Hannibal Lecter portent un nom à faire frissonner et un visage à effrayer, ce bon père de famille, qui s’occupe de sa fille, adolescente, que, visiblement, il aime et protège, cache derrière son visage souriant, un tueur. Or les moyens de l’époque, notamment les moyens visuels, comme les téléphones portables, sont incapables d’aller au-delà des apparences. Et la génération de la fille de ce personnage use et abuse des téléphones portables, et, dans une scène fascinante, le père-tueur est cerné par ces jeunes qui éclairent la salle avec leur téléphone (ah tous ces wokes en stock !), et, en même temps, filment, et, aussi, le filment, bien malgré lui. Or, dans les quelques critiques lues et entendus sur ce film, PAS UNE SEULE FOIS n’a été évoqué le face-à-face, inconscient, entre ces spectateurs (qui chantent, dansent), qui sont plus des jeunes filles que des jeunes garçons, venus écouter une chanteuse-star comme notre époque en connaît, ces jeunes filles « wokes » et féministes, avec un homme, tueur de jeunes. La « dreamer girl » assiste à son concert rêvé, finit même par être privilégiée, mais, derrière cette sonorité/fraternité spectaculaire, restent cachés les secrets, la violence. Faut-il y voir une critique par le réalisateur de l’éthos ploutocratique américain ?
La première heure du film se passe dans le concert prévu (et le film démontre, si besoin était, qu’un concert est un cadre parfait pour un film, pour filmer…).
Le chasseur chassé est-il attrapé ? Révélation (qui ne spoile rien) : les masculinistes vont souffrir… Et, nous, nous souffrons de ces « critiques » qui ne parlent pas de ce qu’ils voient/entendent…
En dessous, vous pouvez lire des analyses qui dévoilent des parties et des structures du récit, sans, toutefois, entrer dans les détails. Si vous souhaitez voir ce film sans connaître ces éléments déterminants, il est préférable de ne pas lire cette fin de note.
- entre l’acteur et le personnage, il y a un effet de miroir sur la simulation : l’acteur « joue », incarne le personnage, et le personnage « joue », incarne un bon père de famille. Le premier imite le second, le second imite un « individu normal », par des comportements-signes connus, reconnus. Mais en fait, TOUT COMME L’ACTEUR (pourtant, à notre époque, à priori, encensé partout, EN TANT QUE TEL, c’est-à-dire en tant que simulateur), le personnage n’est pas connu par ses proches.
- la force politique de la sororité est affirmée ET démontrée. Parce que les personnes qui finissent par avoir la « peau » du tueur, ce sont des femmes.
- le réalisateur incite les spectateurs à prendre attention au « principe empathique » qui les lie aux personnages de ces représentations, et en particulier au « héros », fut-il un homme mauvais. Le personnage de Cooper est aimable puisque celui qui est vu par les spectateurs est principalement le père de famille, le pompier attentif et compétent, mais puisque c’est le MEME que le tueur en série, il est donc détestable. L’existence de ce principe fondateur de notre humanité, sa connaissance, son usage, sont interrogés par NS, puisque là, il concerne un individu qui est déterminée par un problème sur l’empathie, dans la mesure où il lui est facile de tuer. Le cinéma peut nous rendre n’importe qui « aimable », parce qu’il n’est pas un vecteur de connaissances, mais seulement de représentations. Il y a un au-delà des images, essentiel.