La contextualisation de "la République", comme de l'Athènes de ce temps, est difficile mais essentielle pour comprendre de quoi nous parlons – et avec qui. Avec qui, au début de ce récit, qui commence à la nuit, un jour de fête, Socrate a t-il cette fameuse discussion ? QUI EST Céphale, ce… cerveau ? Il faut comprendre que ce point est fondamental. Pourquoi ? Parce que, à travers cette figure, pour parler comme Frédéric Lordon le fait ces jours-ci, Platon vise, avec ces "métèques", ces étrangers présents à Athènes, des COMMERCANTS, des MARCHANDS, dont la seule loi, "vitale", est l'enrichissement monétaire. Céphale est, à Athènes, un mafieux, avant l'heure : pour lui, comme l'exprime ses fils qui parlent pour lui, seul vaut ce qui vaut, c'est-à-dire la monnaie, condition de la "fortune". Il faut comprendre que, si, depuis, avec notre monde, fondé dans une pseudo "Renaissance" par laquelle l'enrichissement spéculatif moyenâgeux a simplement été maximisé, décuplé, ce type de personnes est devenu, omniprésent, déterminant, avec, par exemple, un des plus importants accumulateurs de monnaie à la tête de la plus grande accumulation de stocks du monde (Amazing !), il n'en allait pas de même à Athènes, même si c'est, dans cet espace-temps particulier que ce type de personnes a mis un pied dans la porte, pour, depuis, ne cesser de l'ouvrir. Les premiers échanges entre Socrate, Céphale, ses fils, synthétisent cette situation, cette perspective, ses présupposés et ses implications, ses dangers. Parce que le colérique fils de Céphale qui va défendre son droit à être injuste est ni plus ni moins que la première expression de la défense de la "liberté", en tant que droit à faire ce que le je veut, quoiqu'il veuille. Et que va t-il vouloir ? Avoir ce qu'il n'a pas, et qu'il doit prendre, aux autres, à la cité, parce qu'il va pouvoir se le payer. Allons-nous donner leur donner les moyens de s'approprier tout ce qui ne leur appartient pas, par une puissance financière ? Ce n'est pas un hasard si Socrate évoque le sujet des armes, dans une célèbre question à son interlocuteur. Et ce n'est pas un hasard si dans sa réponse, celui-ci justifie et la propriété absolue des armes, quelle que soit l'état psychique du "propriétaire", et le fait d'avoir une arme, bien que, dans le cadre d'une cité fraternelle, il n'y ait aucune raison d'en disposer une. En quelques lignes cruelles, Socrate/Platon évoque ce que pourrait être un monde où chaque citoyen pourrait s'armer, pourrait s'alarmer de ne pas être armé au point de le devenir : depuis, les Etats-Unis ont réalisé le songe, le cauchemar, socratique, avec tous les Thrasymaque américains justifient leur droit à, de l'écriture constitutionnelle – le sujet même de l'oeuvre, la "Constitution" – bien que, en fait, la Constitution américaine ne donne pas le droit à chaque citoyen de posséder, en tant que tel, en tant que citoyen, seul, une arme, puisque le fameux amendement sans cesse évoqué définisse strictement ce droit, dans une logique collective d'auto-protection, avec, la milice (constitutionnellement, les opposants à ce droit américain d'être armé sont… armés, par la Constitution, mais, jusqu'ici, ils s'en sont pas du tout servis, ou peu, ou mal). Platon relie cette perspective à cette cité qui tourne en rond, avec une étape toujours plus désastreuse que la précédente, avec cette prétention des citoyens à avoir des droits individuels de "liberté(s)", par lesquels des désirs spécifiques peuvent être assouvis. C'est ce que la pensée moderne, obnubilée par les "libertés", omet de prendre en cause, alors que nous nous situons dans une réalité de causalités, où susciter une "cause" entraîne nécessairement des conséquences, lesquelles intéresse Socrate/Platon au coeur de ce Dialogue. Le monde "moderne", entrevu par eux, consiste en une gigantesque "mafiaisation" du monde", où les puissants sont des tueurs, sont secondés par des tueurs – ce dont Machiavel est l'évocateur, fasciné et horrifié, la conscience perdue, incapable de prendre en compte la question des fins parce que Machiavel est le porte-parole de cette perte du sens du Bien.
Le cinéma américain a fait du "Parrain", un Céphale, un homme, "important", respectable, parce que puissant et respecté. Pour Socrate et Platon, il s'agit d'empêcher que, de la cité humaine, ces assassins ne naissent et ne se multiplient. Le cinéma américain les a rendu "admirables" et admirés (que l'on pense à la figure mythologisée de Tony Montana), la pensée philosophique naissante a voulu les rendre, à priori, détestables, mais a été mise en échec par les "défenseurs de la liberté de" – s'enrichir, tuer, voler, violer, …