Pendant la mobilisation populaire de la fin de l’hiver et du printemps 2023, cette publication sur le blog interpellait déjà les « acteurs du monde de la culture« , pour parler le langage aseptisé de la technocratie. En outre, un texte de Sandra Lucbert appelait à une mobilisation, de ce même monde artistique. Relayé sur Twitter, il n’a pas plus suscité de réponses, d’engagements (à notre connaissance, et s’il y a eu des réponses, des engagements, ils ne nous sont pas connus, et nous ne demandons qu’à les connaître). La mobilisation populaire contre l’inique nouvelle législation sur les retraites a pris fin dans des feux, nocturnes, allumés ici et là par un début de guérillas urbaines à proximité des (pas) « beaux quartiers ». « L’insurrection qui vient » se rapproche des citadelles des ploutocrates et ploutophiles, et les milliers de soldats de l’Etat français sont de plus en plus déployés pour représenter et finir la guerre menée contre les populaires. Et, à peine ces feux étaient-ils éteints, que d’autres apparaissaient, après qu’un jeune homme, conducteur d’une automobile, était exécuté par l’un de ces soldats qui confondit la loi avec sa volonté particulière du moment. En quelques jours, une guerre civile partielle prenait corps, les corps, et toute une jeunesse, « mal née » au dire des « biens nés », prétendus tels, allait prendre cher, entre les coups immédiats et les coups de l’In-Justice, française, habituée à faire ce qu’elle fait de mieux, être sévère pour les petits, les pauvres, quand, en parallèle, elle est confite de mansuétudes pour les VIP de la désormais morte « République ». La glaciation sociale de chaque été français a figé les choses, pour un mois et demi, deux mois, et puis la « rentrée » est là. Et la politique ploutocratique continue, avec, toujours, toujours, des cadeaux aux plus fortunés, et des attaques contre les pauvres, la majorité civique, elle qui, pourtant, à la différence de celles et ceux qui lui font des leçons, est honnête. Pour conjurer le, mauvais, sort, les dirigeants usent de fétiches, telle la « musulmane habillée d’abaya », cette énième « sorcière » qui menacerait, de ses serpents qui sifflent sur sa tête, d’hypnose, la « pauvre République ». Le spectacle de marionnettes fait toujours salle comble dans ce pays de grands enfants, mais il finit par s’épuiser vite, puisque les marionnettistes ne sont guère doués pour varier les situations, les histoires. Malgré tout, ils peuvent compter sur un public fidèle de fanatiques qui ne jurent que par leurs spectacles, fanatiques qui crient très fort et qui ainsi assurent une publicité permanente à ces commerçants. Mais dès que le rideau tombe, dès que l’illusion cesse, la réalité impure et dure revient, totale. Et aucune abaya n’est en cause dans les prix des choses, dont le chiffre ne cesse de gonfler, alors que, dans le même temps, les choses elles-mêmes ont pu être réduites (payer plus pour avoir moins), les marges ont augmenté. Le temps est au gavage obscène de quelques ogres dont l’appétit grandit au fur et à mesure de l’augmentation de leur taille, sans qu’ils veuillent connaître aucune limite à cette croissance monstrueuse. Et, dans le même temps, les toujours plus privés de tant, voire de l’essentiel, pour les cas les plus graves, se voient imposer la même cure de Diafoirus foireux : saignez-vous, saignez-vous, vous êtes ainsi assignés aux saignées. Des théologiens de l’économie divinisée justifient « l’austérité », parce qu’il faut bien punir vos péchés capitaux – bien que les accusés ne soient pas des adeptes du capitalisme, c’est à eux qu’il est demandé de payer ses fautes… Les prix montent partout, ou presque, les salaires, allocations, de la majorité stagnent, et les mois passent de plus en plus à, seulement, survivre. Les anciens, et déjà, rares, plaisirs ne sont plus que de lointains souvenirs. Une situation que des hédonistes n’hésitent pas à justifier – une privation de plaisirs, POUR LES AUTRES mais PAS POUR EUX. Déclinaison de ce fâcheux principe : « n’imposez pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous imposent », ils le contredisent explicitement, radicalement, avec joie. Pour que des commerçants, grands et moins grands, augmentent toujours plus leurs marges, les marges de la majorité civique sont attaquées, jusqu’à leur disparition : certains ne peuvent plus ni aller au cinéma, ni se payer un abonnement à un site pour voir des films, ne peuvent plus s’acheter un livre, et ne parlons même pas de plus que d’un, ne peuvent plus s’offrir un restaurant par mois, ne peuvent plus faire de cadeaux à leurs enfants, ne peuvent plus… ne peuvent plus…, n’en peuvent plus de ne plus pouvoir. Et ainsi, presque, tous les « acteurs du monde de la culture » en pâtissent. Presque : les têtes de gondole, littérature, sciences humaines, cinéma, musique, continuent de vendre, parce que, bien évidemment, NON, tout le monde ne souffre pas, et quelques millions de citoyens de ce pays vont très bien -ils vous en remercient et entendent bien continuer à le faire. Les dépenses de ceux-ci compensent tellement les non-dépenses des autres que des grands groupes ont des bénéfices et des résultats, supérieurs, aux antérieurs ! Magnifique !
Sérieusement ? Pour infiniment moins que cela, Coluche en venait à créer les « Restos du coeur ». Devenue une institution, l’association de la charité républicaine (une logique bien peu… laïque), est tellement sollicitée (alors même que les membres de la secte dominante affirment haut et fort que nous sommes à une encablure du « plein emploi » – mais ils ne disent pas ce qu’ils entendent par « plein »…) que l’un de ses dirigeants a fait appel à de nouveaux dons, immédiatement satisfait par un don énorme de Bernard Arnault, 10 millions d’euros, un don microscopique au regard de sa fortune personnelle de près de 300 milliards. Augmentation du nombre et de la diversité des privations et des privés de : les conséquences sur les dépenses culturelles de la majorité civique sont lourdes. Tout ça pour ça ? S’agit-il de parler de tout cela que pour se plaindre, s’inquiéter, de la baisse de ces dépenses pour ce que, auteurs, artistes, intellectuels, proposent, à la réflexion, méditation, sensations ? S’il faudrait déjà dire pourquoi il ne faudrait pas s’inquiéter, puisque tant parmi les auteurs, artistes, intellectuels, n’ont ni contrat public à vie, ni revenu élevé permanent, il s’agit aussi de considérer que, AUSSI, privés de ces créations, livres, pièces de théâtres, films, musiques, expositions, les citoyens de la majorité civique sont AINSI privés de bien d’autres fenêtres sur, l’Histoire, le présent, de chemins rares ou inédits pour l’activité intellectuelle, de NOUVELLES voies, voix, connaissances, puisque les canaux de masse de la diffusion sous contrôle étatique écartent l’immense majorité de la création, artistique, intellectuelle. Non seulement, auteurs, artistes, méritent de vivre, comme les autres, mais aussi, doivent pouvoir être lus, vus, écoutés, parce que les citoyens le décident, A CONDITION qu’ils le puissent. Or, la vampirisation de leurs ressources est telle que pour tant, cette condition n’existe même plus. La violence économique n’a cessé de croître, et pourrait continuer à croître, d’autant plus si, auteurs, artistes, intellectuelles, nous nous taisons. Si « qui ne dit mot consent », les mots sont dits parce qu’il n’y a pas consentement à ces violences. Si, auteur(e), artiste, vous vous retrouvez dans ce texte, mais, pour des raisons qui vous appartiennent, ne voulait pas vous associer à ce texte, son auteur, il ne faut pas hésiter à vous en inspirer, ou pas, mais surtout à vous exprimer clairement pour que, enfin, du « monde de la culture », les citoyens de ce pays entendent enfin, des soutiens publics, en soutien à ce qu’ils vivent. Si, vous vous retrouvez dans ce texte, que vous souhaitez vous y associer, d’une manière ou d’une autre, il ne faut pas hésiter à le dire, soit par un commentaire, soit en écrivant à l’auteur, en vous faisant connaître, en faisant connaître les raisons de votre accord, ce que vous voulez ajouter.
Dernière chose : ce texte n’épuise ni les sujets ni les problèmes. Il va de soi que, parfois, hors de France, les faits évoqués-là sont tout aussi existants, ou plus graves encore. Ce n’est pas une raison pour par une comparaison sans raison, faire de la France, selon l’adage d’un Tesson, un « paradis » ignoré par ses propres habitants. Ce qui n’a jamais été un Paradis est, actuellement, transformé en un enfer, pour tant de ses citoyens, pour tant d’êtres humains, si l’on pense aux personnes « sans papier », exploités de toutes les manières possibles, si l’on pense aux musulmans, également exploités de tant d’autres manières. Oui, il n’y a pas d’exception française, mais, habitants de et en France, c’est là que pour nous une part des francophones du monde, les choses se jouent, certes, en lien avec le reste du monde, mais de manière spécifique, quand il s’agit des structures, politiques, économiques, des prix, de l’inflation, et c’est là que nous avons, toutes et tous, le droit le plus absolu de nous exprimer et d’agir, ce que, bien heureusement pour eux, nous n’avons pas hors de France. Auteurs, artistes, intellectuels, nous contribuons tant aux ARTICULATIONS, face à un monde qui, avec ses processus de déshumanisation, désarticulent, cassent, les liens. Afin que ce texte ne soit pas trop long, ce texte ne dit pas tout, notamment de ce qu’il faudrait faire pour sortir de l’ornière, française. Un autre texte en parlera, explicitement, prochainement. Il s’agit, déjà, de savoir si, vous, auteurs, artistes, intellectuels, la situation générale vous convient (et dans ce cas, dont acte, tant pis, et adieu), et si, au contraire, elle ne vous convient nullement, elle vous insupporte, horripile, scandalise, et, dans ce cas, si vous voulez que nous soyons quelques uns à nous exprimer ensemble, pour commencer, et après ce commencement, aller plus loin.
PS : la notion de « ploutocratie » dans ce texte s’explique par sa présence dans le titre et la pensée de l’ouvrage « Racisme social : théorie des pratiques ploutocratiques de différenciations sociales », présenté ici
A lire l’entretien de Sandra Lucbert sur « Ballast », dans lequel elle répond à cette question : « À la question que George Orwell se pose quant aux raisons qui le poussent à écrire, il répond qu’il aspire à « faire de l’écriture politique un art à part entière ». Vous ratifiez ?
Absolument. Avec cependant une précision : je ne considère pas du tout que la littérature ait essentiellement à être politique. Comme tout art, elle jouit d’une pleine autonomie dans le choix de ses objets ou de ses propos, et tous sont également éligibles. Ce que je crois en revanche, c’est qu’il y a des périodes particulières où persister à tourner le dos aux objets politiques quand on est auteur ou artiste est un problème. En certaines conjonctures, la hauteur des enjeux, des urgences et même des périls nous requiert. Je ne veux pas dire qu’il est inadmissible, pour une auteure ou une artiste, même dans ces conjonctures, de continuer à travailler sur des questions ou des objets non politiques, mais si tous les secteurs de l’art demeurent dans ce type de questionnement et dans ce type seulement, alors ils collaborent objectivement à ne rien tenter du tout pour enrayer les destructions en cours. Or je pense que nous vivons précisément une de ces époques où nous sommes requis. L’art ne peut plus se complaire dans la seule préoccupation de l’innovation formelle : il faut le transitiver1, en l’occurrence politiquement. Le sentiment d’urgence politique m’est venu hors de la littérature, mais c’est par elle et par ses exigences formelles que j’arrive à faire quelque chose de ce sentiment d’urgence. (…) »
Mise à jour 30 septembre : le premier soutien à ce texte/son sens (contre la « nasse économique ») est venu d’Houria Bouteldja. Et ce n’est pas une surprise…
Le second soutien à ce texte est de Sébastien Doubinsky, que je remercie. Sebastien Doubinsky est l’auteur de plusieurs ouvrages, romans, nouvelles, poèmes, essais, comme « Mira Ceti« , (chroniqué sur ce blog), « Lire, écrire, se révolter« , « Absinthe« .