Mira Ceti : et si l’Art entrait enfin dans nos vies ? Un roman pulsant de Sébastien Doubinsky

Des livres, il y a ce qu'en disent les présentations publiques, ces angles ouverts sur, comme ici, avec "Quand la femme qu'il aime meurt tragiquement, le peintre Alex Szenas perd également son désir de créer. Il embarque à bord d'un bateau pour un road-trip maritime qui le mènera au Groenland, en passant par Tanger, New-York, Lisbonne ou Dunkerque. De port en port, son voyage n'est pas un long fleuve tranquille et le mène d'improbables rencontres en situations rocambolesques. Jusqu'aux rives d'une Thulé hors du temps et du monde où se trouve, peut-être, la rédemption. À la fois récit d'aventure teinté de polar, roman initiatique et hommage à la création artistique, Mira Ceti transporte son lecteur dans l'errance poétique et urbaine d'Alex Szenas. Étoile variable dans l'univers, la géante rouge Mira Ceti symbolise ici la trajectoire incertaine et les changements d'existence que traverse le narrateur." Mais, puisque la littérature est avant tout, hiéroglyphes, visions et auditions (les mots sont des sons !), ces présentations ne disent rien sur la parole à l'oeuvre et sur ces visions. "Mira Ceti", s'il s'agit d'un roman, est un court roman, ou une longue nouvelle, mais il n'est pas un roman au sens où la narration se confondrait avec la prose du Jourdain. Comme le disait Mallarmé pour le lieu, il y a récit, c'est certain, mais la parole est prose ET poésie, narration ET musique, langage soutenu ET langage "vulgaire" (traduisons, populaire et vivant). Alex Szenas vole de ville en ville, depuis Tanger. Voeuf et inconsolé, il fait tomber les bouteilles, comme Geoffrey Firmin dans "Au dessous du Volcan", de Malcom Lowry. "Devant le choc des couleurs qui m’entouraient, je pensai à Matisse et que quelques mois auparavant j’en aurais tiré des tableaux, de tout ça. Mais c’était fini maintenant. J’avais tourné le dos à la peinture pour toujours en montant sur la passerelle du cargo, j’avais fait un vœu et j’allais le tenir… Non, plus de pinceaux, de toiles 240 x 240, plus de térébenthine, plus rien du tout, sinon le souvenir fêlé d’une erreur de jeunesse, de ma jeunesse, pas encore finie et pourtant déjà foutue… Plus jamais de peinture, me répétai-je devant ces couleurs magnifiques, plus jamais, plus jamais !" Alors si Alex Szenas ne peint plus, Sébastien Doubinsky le fait à sa place. Comme le lui dit un de ses amis comètes, "– T’es un drôle de marin quand même, tu sais, Alex… Moi aussi, je suis un drôle de marin, mais toi, tu me bats… Sur le bateau tu passes tes journées dans la bibliothèque sans parler à personne, ou presque… à terre, tu te balades tout seul… T’es pas un vrai marin, toi… Jamais un matelot sérieux ne se promènerait sans camarades dans un port comme Tanger… Regarde autour de toi… T’en vois beaucoup, toi, des marins seuls ?". C'est que Alex Szenas est travaillé au corps, par la mort de l'Aimée : un accident de la rue – un suicide ? Transi de May, Szenas est rongé par la culpabilité, celle qui pousse à mourir aussi. Mais tant qu'on est pas mort, il faut avancer. Et quand un ami meurt dans des "conditions suspectes", selon les règles de la police, quand on s'est engagé auprès de lui pour apporter à sa famille perdue dans les brumes du Nord terrestre, il faut, malgré tout, tenir bon. Après Tanger, notre oiseau passe à Lisbonne. Où le sieur rencontre son miroir. "Quelques réflexions sur un voyage volontaire : fuite en avant, longue noyade, suicide reporté, initiation spirituelle ? On ne peut pas savoir. C’est ça le propre du mouvement, de vous accompagner pendant votre pensée. Ça vous habite. Ça vous pousse et ça vous pousse encore. Triomphe de la Volonté. Ce brave Arthur. Ma mélancolie est à roulettes, avec moi qui tire la ficelle. Où que je me tourne, je me vois : moi, moi, moi. Et pourtant je suis parti pour m’effacer, m’oblitérer, me gommer le visage comme un croquis raté. Possible, impossible ? Qui peut savoir, avant de s’être arrêté pour de bon ? Je voulais changer. Je reste le même. Je suis toujours capable des mêmes erreurs. D’aimer les mêmes femmes. D’aimer à côté. D’embrasser l’ombre." Mais Alex n'oublie pas son devoir humain : se faire voyant. Et c'est ailleurs, on ne dira pas où, qu'il va regarder à nouveau des tableaux : "Je m’assis devant un Basquiat que je ne connaissais pas, des personnages griffonnés au hasard, perdus dans une mer d’un bleu électrique, parcourue de graffitis énigmatiques. Silence de mort. Électricité statique. Quelque part, derrière, tout au loin, une batterie de jazz9. Beauté d’un mur des toilettes publiques de Pompéi. Beauté dérisoire. Notre beauté. (…) Je m’assis devant un Gaudenzi que je ne connaissais pas, une encre très grande, comme un détail de hiéroglyphe aztèque agrandi cent fois, ronds, carrés et rectangles, nuages menaçants en équilibre dans un ciel blanc11. Morsure du noir à pleines dents sur le blanc, comme l’ombre de votre tête sur la cuisse d’une femme. (…) Je m’assis devant un Manu Rich que je ne connaissais pas, un faux paysage en transparences, en coulures, en strates. Une carte géologique du sentiment et de la mélancolie, sédiments du désir et de la perte, arbres carbonisés par le désir. J’avais envie de toucher cette matière, de me promener dans ce décor d’une tristesse et d’une émotion sublimes, de regarder passer les nuages dans cette nuit noire aux reflets moirés, de me réfugier dans ce pays imaginaire enfoui tout au fond de nous comme une photo autrefois maintes fois regardée et aujourd’hui oubliée. Un écho. Une note. Une voix. La voix. La voix que nous reconnaissons tous et toutes : celle de l’amour et de son ombre." Il ne faut pas oublier que, avant d'entrer dans ce musée improbable, Alex Szenas a rencontré "un apprenti alchimiste". L'obsession de ce qui reste à l'oeuvre. Un jour, il ira à New York avec vous. Et un autre jour, il ira, un autre dirait, finira, à Thulé. Derrière tous les mots, il y a tous les non-dits. Il y a infiniment plus de non-dits que de mots. C'est toute la différence entre des romans "de gare", contre lesquels il faut vous mettre en garde, ceux dont le langage est seulement de la communication, comme la musique sirupeuse qui est censée vous doper dans votre bonne humeur d'acheteur, et ceux qui ont quelque chose à vous dire qui n'est pas simple. Comme dans les tableaux-monde, il faut associer tout ce qui est dit à tout ce qui n'est pas dit, parce qu'il est dit autrement. Il faut écouter. Et A Thulé, qu'est-ce que notre oiseau va trouver ? Evidemment : botus et mouche cousue. 

Sebastien Doubinsky est assez désespéré. A cause de ce monde qui ne veut rien voir, et du coup, rien savoir. 

"Mira Ceti" c'est ici : https://www.editions-abstractions.com/mira-ceti-1

 

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