Thierry Galibert, « La Sauvagerie » – note 1

Dans cet ouvrage de 350 pages environ, Thierry Galibert, professeur à l’Université d’Aix-Marseille, nous propose une nouvelle étape de la construction d’une pensée originale et novatrice. C’est que, loin d’être seulement un «historien des idées et de la littérature», Thierry Galibert est plutôt un «philosophe», depuis sa rencontre avec l’oeuvre et la pensée d’Antonin Artaud. Même si les principaux auteurs de référence dans cet ouvrage appartiennent à la période de préparation des Lumières, depuis les débuts de l’époque moderne, avec Montaigne, jusqu’à Nietzsche, en passant par un duo/duel entre Rousseau et Voltaire, Artaud reste LA référence, explicite ou non, à partir duquel Thierry Galibert pense, l’Histoire, «l’Occident», et cette «sauvagerie», véritable universalité humaine. Si la présentation de l’ouvrage est exacte, à savoir que «la sauvagerie n’est pas la barbarie : elle la précède, historiquement, et, dès la Renaissance, elle lui sert d’antidote jusqu’à devenir, avec Jean-Jacques Rousseau, un référent de l’alternative au libéralisme et au capitalisme qui, dès son temps, tendent à imposer la pensée unique universalisée par le siècle dit des Lumières. Si le sauvage sert de point d’appui à ce livre, par opposition à un barbare de type féodal qui initie pour sa part le libéralisme, c’est afin de trouver en lui le fondement commun des êtres humains et ainsi mieux justifier la nécessité d’un régime politique répondant à la logique du vivant : Égalité – Fraternité – Liberté. Au travers de sa pratique de la coopération et du fédéralisme, en effet, la sauvagerie promeut une organisation fondée sur la responsabilité individuelle et la participation commune. S’y ajoute la dimension écologique et, à l’ère où l’écologie dite politique réinvente le fil à couper le beurre, il est essentiel de reprendre, à mi-chemin entre essai et anthologie, des écrits datant – mais non datés – de lanceurs d’alerte constructifs qui incarnent le vrai sens des Lumières.», cette synthèse savante ne rend pas compte, ni mérite, du travail érudit de Thierry Galibert, de l’expression d’un dialogue entre les auteurs, qu’ils se soient connus et détestés, comme Rousseau et Voltaire, ou non, concernant ce qui est advenu en tant qu’Humanité, et ce qui mérite d’être appelé tel. L’ouvrage fait écho à celui de Domenico Losurdo, dont l’ouvrage «Contre-Histoire du Libéralisme», a révélé ce que furent les origines, réelles et complètes, de la pensée libérale européenne, à savoir une pensée raciste et de ce que nous appelons le racisme social. La «sauvagerie», du sauvage, avec les sauvages, n’est pas une barbarie, et, paradoxe d’un fait et principe dialectique historique, c’est, au contraire, dans le lieu de la prétention de la plus grande «civilisation» que la barbarie a pu se former, se forger et prendre une ampleur jamais connue dans l’Histoire. Thierry Galibert entend nous faire comprendre que «la sauvagerie», en tant que fait des sauvages, absolument distincte de la barbarie, est la matrice universelle dans l’espace et dans le temps, dans l’ontogenèse comme dans la phylogenèse, de l’Humanité, qu’elle doit faire face à une double barbarie, celle des ignorants purs et simples, destructeurs historiques, et celle de «savants» ou pseudo, avec la secte des Fausses Lumières. Rousseau est, pour Thierry Galibert, au coeur de cette affaire historique, notamment dans son face à face avec Voltaire. Après un Postulat de 40 pages, l’auteur propose de reconstruire le projet de la coopération politique, souvent qualifiée de «République» en France, en associant à nouveau les trois principes de sa devise, et ce, dans un autre ordre, avec, en premier, l’égalité, en second, la fraternité, et en troisième lieu, la liberté. L’air de rien, le propos de l’auteur vise à réfléchir sur ce que pourrait être les conditions d’une «paix perpétuelle universelle», dans la logique du «sauvage», lequel «n’a besoin de personne et ne convoite rien au monde, ne connaît et cherche à connaître d’autres pays que le sien», ce qui est dire à quel point le sage sauvage est en voie de disparition, et avec lui…, à quel point son «ethos» au sens hégélien est, selon ce que nous disent aujourd’hui les climatologues, et autres scientifiques d’une discipline de la Terre ou de la vie sur la Terre, sage !

Du Moi dans son rapport à lui-même, le sauvage, même «aliéné», l’est moins que le civilisé, lequel voyage beaucoup et partout pour y promener un miroir et ne voir que lui-même, y compris sous la forme d’un roman, d’inspiration égotiste, et dont Stendhal est donc le symbole «parfait». A l’inverse de cette voie de perdition, il y a, des Sauvages, présents partout, jusqu’à Montaigne, Descartes, Rousseau, une attention aux corps, qu’il s’agisse des corps de la zoologie comme des corps humains, et du corps-de-soi, promouvant ainsi une immémoriale mais permanente et de plus en plus puissante logique matérialiste. Il existe donc plusieurs tensions, entre un vrai et un faux savoir, y compris dans le sens individuel, pratique, entre une bonne et une mauvaise ignorance, et, seul bémol à opposer à Artaud qui disait voir en Platon la source de tous les dualismes statiques et stériles, occidentaux, le texte platonicien est le premier à différencier le vrai du simulacre, à concevoir qu’il y ait même plus de Raison dans d’autres peuples qu’avec les Grecs eux-mêmes, cas unique, avec la naissance de la pensée «philosophique», de limitation d’un narcissisme potentiellement démesuré, de premier écart avec l’ethno-logisme-centrisme, qui fait de l’être de la communauté le centre et la perfection du Tout. Transposé à notre temps, il y a celles et ceux qui placent sur un piédestal idéaliste, «l’Europe», centre, source, sommet, des cultures, «de la culture», dans un prolongement raciste largement inconscient, et celles et ceux qui, véritables universalistes, ne peuvent donner dans de telles caricatures, et peuvent même voir dans «l’Europe» un problème pour l’Humanité. Et pour nous sortir de nos apories et pièges, Thierry Galibert termine son ouvrage par un programme : l’Ensauvagé, au sens où nous apprenons à redevenir des «sauvages», anti-barbares. Il est cocasse qu’il conseille cette voie, alors (…) 

La note complète est disponible ici, en téléchargement Téléchargement THIERRY GALIBERT LA SAUVAGERIE

LASAUVAGERIE TG

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