« Préjudice(s) » : d’une véritable interdiction à une fausse interdiction, pour les réaliser/justifier

Cette note est la première d’une série, consacrées au sujet du «préjudice», en tant que principe fondamental des relations humaines historiques, de ce que sont les préjudices principaux, de leur Histoire, passée ou présente, et d’une évolution historique singulière par laquelle nous sommes passés d’un projet, appelée, «politique», pour tous, à sa disparition, par un palimpseste politique qui a prétendu dépasser/effacer ce projet, pour tous, par une théorie/pratique, par essence, différentialiste, par et pour laquelle il y a une légalité/légitimité à des avantages réduits à quelques-uns, avec, à l’inverse, des préjudices, réduits à quelques-uns, quitte à ce que les premiers ne soient que quelques milliers et les seconds quelques millions, qu’il s’agisse de dizaines ou de centaines. Mais, contrairement à ce que nous avons pu entendre dire, l’Histoire n’est pas finie. Et les manipulations des Machiavels ont beau être, habiles, puissantes, effectives, dominantes, elles ne peuvent pas faire taire la parole humaine historique, fondée sur un rêve d’une vie collective, idyllique. Ces notes développeront des idées et des analyses, jusqu’ici, sauf erreur de la part de l’auteur, pas énoncées par d’autres – l’auteur remercie d’avance celles et ceux qui voudront les citer en indiquant leur source. De son côté, l’auteur citera, au fur et à mesure, ses sources.

La pensée politique historique a établi que, concernant les communautés humaines, c’est-à-dire les relations entre les membres qui la composent, il existe un principe, de fait et de droit, théorique et pratique, par et pour lesquelles elles existent, se structurent, se développent, et elle l’a appelé «le Bien». Cette pensée politique historique, platonicienne et aristotélicienne, a pu être, dans les siècles récents, réputée, archaïque, dépassée, comme si, à l’instar des mythes théogoniques, nous avions à faire à un stade de la pensée, enfantin et infantile, qu’une «raison» supérieure aurait intégré et dépassé – et on mesure le poids des prétentions hégéliennes pour laisser penser que les Modernes sont assis sur les épaules des Anciens pour voir plus loin et plus haut. Mais la démonstration de cette supériorité a t-elle été faite ou avons-nous à faire à une fanfaronnade typique de ces Modernes qui associent nécessairement temps et progrès, inspirés notamment par une théologie chrétienne prétentieuse ? Plutôt que de se perdre immédiatement dans la raison d’une comparaison où le résultat final est donné d’avance, il faut comprendre ce lien structurel établi entre l’individu, la communauté, et «le Bien». Il y a des évidences, simples, élémentaires, essentielles, auxquelles il faut faire attention. La vie humaine ne peut pas être statique : elle n’a pas ce qu’il lui faut. Elle doit donc prendre ce qui lui est nécessaire, ce qui lui est favorable, et, par exemple, dès lors qu’il s’agit de cueillir champignons et plantes, il faut apprendre à distinguer ce qui nous est profitable et ce qui nous est nuisible, parce que celui-ci existe, et qu’un poison mortel met rapidement fin à l’activité de nos fonctions vitales. Le développement des communautés humaines dans notre Histoire s’est réalisé dans la construction d’expériences, de pratiques et de savoirs de ce qui nous est bon, pour tous. Le «bon-pour-tous» ne peut donc pas ne pas être bon pour qui que ce soit : que nous ayons le goût d’un pharmakon ou pas, la substance active est, à priori, favorable à chacun, chacun, mais l’expérience démontre qu’il existe des exceptions, lesquelles doivent faire l’objet d’une connaissance précise, dans la médecine moderne. Et qu’est-ce qui est «bon» ? La pensée politique historique, originaire, appelée «Philosophie», laquelle s’entend comme une pensée holistique, établit que, pour l’ensemble des êtres humains, il existe des principes communs, lesquels méritent d’être qualifiés d’universels, et l’un d’eux, quant au Bien, en détermine une de ces conditions dans la nécessité matérielle : ce qui est bon pour nous se trouve hors de nous, est composée par des éléments ou est formée par un élément, comme l’oxygène pour notre respiration, l’eau pour notre alimentation. Pendant la plus grande partie de l’Histoire humaine, sur l’ensemble de la planète, l’eau a été un bien commun, gratuit, mais dans de nombreux pays où la plus grande partie des biens humains sont vendus aux plus offrants, sont «privatisés», l’eau n’est plus gratuite, d’autant que, pour qu’elle soit consommable, elle doit être traitée, puisque là où elle était «pure», comme avec les eaux de source, elle est, elles sont, désormais, polluées, et qu’elles ne peuvent plus être bues, telles quelles. Des éléments terrestres, les biens, collectifs comme individuels, en proviennent, directement ou indirectement, qu’ils soient utilisés, tels qu’ils sont, naturellement, ou qu’ils soient, modifiés, transformés par des activités. Les biens rendent possible la survie, et, au-delà de cette limite, la vie. La multiplication des biens s’est produite quand la vie est devenue une survie et plus encore. Les tribus humaines qui, aujourd’hui, vivent encore comme nos ancêtres, chasseurs et cueilleurs, sont composées par des humains qui se sont drastiquement limités à la satisfaction d’un petit nombre de besoins et de désirs. Mais l’Histoire humaine a été faite par et pour celles et ceux qui ont entendu dépasser ce petit nombre, et, singulièrement, nous sommes, dans notre temps, renvoyés à cette origine, modeste, notamment parce que, dans le cours des siècles, cette vie humaine, par essence, matérialiste, n’a pas été accompagnée par une conscience adéquate (sauf au niveau des humains/terriens, qui ont vécu par et pour «la Terre»), de cette réalité matérielle/matérialiste, mais s’est au contraire déportée vers des fictions – bien qu’elles aient leur propre nécessité dans le fait que l’Humanité est, elle-même, une «fiction», une Histoire, à tous les sens du terme. On pourrait croire que, poser sur de telles bases, l’Histoire serait alors, à nouveau, entendue comme un progrès, au moins, quantitatif, comme si les prétentions humaines avaient nécessairement et régulièrement augmenté, mais si l’Histoire humaine est si complexe, c’est que, si le «monde moderne» est fondé sur de telles prétentions, notamment concernant la conversion énergétique, il n’y a pas eu que des progrès, des augmentations de prétention, mais aussi des reculs, comme l’illustre, après la période romaine qui a conquis la nécessité de l’hygiène par des Thermes remarquables, la régression des siècles postérieurs, dès lors qu’il n’y eut aucune construction, au bénéfice de tous, de tels cadres ludiques et hygiéniques, par un usage massif des eaux et de leurs canalisations. A l’interface des nécessités matérielles/corporelles et des réalités matérielles elles-mêmes, la conscience humaine, dédoublement des choses dans des images et des «idées», est capable de se perdre dans son propre labyrinthe, de se perdre, littéralement comme physiquement, «méta-physiquement» dans des abstractions, comme si celles-ci pouvaient être la synthèse idéale des nécessités matérielles, épurées des impuretés de la réalité, alors que ces impuretés, imperfections, sont constitutives de la matérialité, grâce à laquelle nous sommes ce que nous sommes. Est-ce à dire que, comme le prétendent des néo-dogmatiques modernes, le «matérialisme», théorie (vision/représentation et connaissance) des matérialités serait antinomique des «idéalités», de «l’Idéalisme», et que les adeptes du premier auraient donc totalement raison contre les adeptes du second qui auraient eux totalement tort ? Ce serait évacuer que, pour les humains, les «Idées» sont elles-mêmes un matériau, de l’ensemble des éléments desquels nous dépendons et avec lesquels nous existons. Et, selon l’explication platonicienne, en adaptant celle-ci, on peut dire que, une part des Idées sont les copies des matières, modèles – pour une part qui le le sont pas. L’Idée du Bien n’est pas le Bien. Le concept de «profit» n’est pas la réalité de ce qui est avantageux, et c’est pourquoi les profiteurs, quand ils sont cyniques, peuvent se moquer des théoriciens «du profit» par lesquels nous avons seulement conscience et représentation(s) de. Une pensée philosophique «abstraite» peut tout à fait avoir raison sur ce qui se passe dans l’Histoire sans que cela modifie quoi que ce soit à ce qui se passe dans l’Histoire, et c’est contre cette impuissance que la pensée philosophique originaire, nullement abstraite, s’est constituée – en devenant ainsi une force considérable, redoutée et vilipendée par tous les sophistes vendus à la réalité commerciale. Au principe, universel, valable, puisque mis en œuvre dans l’ensemble des communautés humaines, de la perception, de l’évaluation et des décisions concernant le préjudice, les préjudices, il y a
l’affirmation d’un avoir-être : ce que je suis, je le sais, et je l’ai, et cet être-avoir est absolument singulier – et c’est ce qui mon corps, à la fois en tant que réalité matérielle, la chair, les organes, et ce par quoi et ce pour quoi j’ai des sensations, des sentiments, propres, absolument personnels, desquels nul autre n’a à décider d’en faire à sa guise. Et ce n’est pas un hasard si à l’heure de l’extension du domaine de la commercialisation
appropriation de tout et de tous, des femmes, des hommes, des enfants, opposent à cette prétention une protestation, plus ou moins forte, radicale, par une affirmation simple mais fondamentale : ce que je suis, tu t’en es servie, sans que je sois en accord avec cette instrumentalisation, cet esclavagisme – ce que nous font entendre ces dernières semaines celles et ceux qui dénoncent des harceleurs, agresseurs, violeurs. Ce principe, «archaïque », parce qu’il est au fondement de l’Histoire de toutes les communautés et que, même maintenant, et d’autant plus, maintenant, il se maintient, il a donc été pensé depuis longtemps par cette pensée politique historique : pensé, énoncé, analysé. Et c’est pourquoi la pensée philosophique en a déterminé le nom synthétique, positif : le Bien. Or, pour cette pensée philosophique, le Bien n’existe pas seulement par et pour quelques-uns, pendant que d’autres en sont exclus. Il est, parce qu’il est par et pour chacun, et qu’il fait le lien entre tous les êtres humains, sans qu’un seul ou que quelques uns puissent prétendent en avoir un accès spécial – ce qui, toutefois, s’est incarné, originalement et dramatiquement, dans l’Histoire. Mon avoir-être est total, est une totalité, puisque, à l’instar de mon corps, il est une somme de parties, et un préjudice s’identifie dans la mesure où une action suffisamment forte atteint, de ces parties, une, plusieurs ou l’ensemble. Décliné dans notre langage moderne, nous disons qu’il y a eu une atteinte à notre intégrité. Quelque chose manque ou a été fragilisé ou a été détruit : un bien dont nous disposions nous a été, volontairement ou non, retiré. Or, depuis que les premières communautés humaines sont parvenues à formuler consciemment les règles par lesquelles leurs membres parviennent et doivent parvenir à vivre ensemble, il y a un «droit», explicite, qu’il soit écrit ou non, par lequel ces communautés ont énoncé et l’affirmation de cet avoir-être total, la possibilité, accidentelle, d’une action préjudicielle, et la nécessité, pour la communauté, de procéder à une «réparation», que nous devrions appeler une «réparaction». Dans ce qui est devenu le droit français, ce principe s’énonce de la manière suivante : un préjudice est un dommage qui est causé à autrui d'une manière volontaire ou involontaire. Le préjudice peut être causé par le fait d'une personne, par le fait d'un animal ou d'une chose, ou encore par la survenance d'un événement naturel, et le droit fixe comme principe qu’il est interdit à quiconque de provoquer à autrui, un dommage, ou plusieurs, et que, en cas, il doit y avoir une réparation. Toute l’ambiguïté de ce principe, moderne, dès qu’il est décliné, c’est que puisqu’il énonce une interdiction, couplée avec une affirmation catégorique quant à la nécessité, pour celles et ceux qui sont responsables de ce dommage, de ces dommages, de le, les, réparer, c’est qu’il en présuppose une existence, nécessaire, fatale, en actant qu’il y aura donc cette «réparation», alors que le principe antique du Bien est lui, positif, puisqu’il pose l’existence de cet avantage auquel chaque sujet conscience a, a droit, lui est consubstantiellement lié. Le principe antique acte qu’il y a un acquis positif qui détermine et toutes les actions et toutes les évaluations préjudicielles, alors que le principe moderne acte que, puisqu’il y a, aura, des préjudices, il faut nécessairement qu’il y ait une réparation à évaluer. Le principe moderne est une régression au regard du principe antique, et c’est sur cette régression que la pensée politique moderne s’est construit, en prétendant qu’il est normal, voire même légitime, que certains aient des avantages, de naissance ou historique, pendant que d’autres ne les ont pas, ou s’en voient privés, et que, dès lors, au regard des préjudices causés, ceux-ci, outre le fait qu’ils sont légaux et légitimes, doivent être seulement compensés, par le moyen général de la compensation, une réparation financière. Il faut donc comprendre que nous vivons donc dans un monde déterminé par des contradictions : ce que le principe de droit affirme, l’interdiction de causer à autrui un tort/dommage, la politique générale l’autorise, dès lors qu’un préjudice va servir les intérêts d’une minorité. On comprend mieux pourquoi des adeptes du libéralisme/néo libéralisme, comme Popper, membre de la société du Mont Pélerin, ont pu diffamer Socrate et Platon, par l’accusation de «totalitarisme», anachronique, mais surtout, au fond, inepte, puisque Popper a lui, défendu, une société apparemment «ouverte», mais en fait, soumise à des «Gardiens», pour lesquels, quand Platon défendait leur incorruptibilité, Popper a, au contraire, défendu qu’ils soient des défenseurs, intéressés, des profits financiers. Mais si un système autorise et promeut des contradictions, il ne faut pas mépriser et laisser de côté le principe fondamental du droit qu’il promeut également, puisqu’il s’en sert structurellement dans l’ensemble de ces décisions de droit, puisqu’il est contraint de s’en servir également structurellement dans la plupart de ces décisions, principes, politiques (le principe de précaution en est une des déclinaisons), mais qu’il résiste à son application systématique, parce qu’il dépend de la production, volontaire, assumée, de préjudices, par et pour lesquels il existe en tant que tel. C’est ce que le néo libéralisme a théorisé ET que produit, en n’oubliant pas que, pour lui, l’essentiel réside dans cette production des préjudices, qu’il peut faire, sans «théorie», vision/représentation et connaissance/justification, si les circonstances l’exigent, en passant alors à un autoritarisme qui est son vrai visage : vous avez voulu nous empêcher de produire des préjudices, soit, radicalement, soit en les limitant, mais nous contestons totalement et votre contradiction et votre droit même à nous contredire. Sauf que cette prétention, de disposer d’un droit particulier, ne peut être fondée, ni universellement, ni absolument, puisque, dès lors que la situation se renverserait au détriment des chantres de ce droit particulier, ils ont protesté, ils protestent ou ils protesteraient contre les «violences» subies. Leur principe : j’ai le droit de causer des torts à autrui alors que, lui, elle, n’a aucun droit de m’en causer, est intenable – en droit et en fait. Face à un tel système, il ne faut pas invoquer ses contradictions, pour les lui opposer, comme si ces contradictions pouvaient être, pour lui, un problème, alors qu’il les
constitue comme telles, les veut, comme telles, les assume comme telles. Celles et ceux qui se contentent de représenter ces contradictions, en protestant contre, ne peuvent espérer que leurs responsables, conscients, décident d’y renoncer, puisqu’ils existent, en tant que tels, par une volonté claire. Comme si, face aux esclavagistes des siècles, du 15ème au 20ème siècle, l’accusation morale avait été déterminante sur et contre l’esclavagisme : les esclavagistes ont entendu cette accusation, mais n’ont rien changé à leur pratique, et ils ont organisé sa transmission, de «père/mère en fils/fille», son extension, jusqu’à ce qu’ils soient menacés de subversion, par le nombre des esclavagisés, par leur organisation. Dès lors, ils ont organisé la prolongation, par d’autres moyens, de cet esclavagisme, avec le salariat, qui, dans un premier temps, pendant plusieurs décennies, se caractérisait par une quasi inexistence de «droits économiques», puis par une série de «droits économiques», par essence, limités, au maximum. Par exemple, quand il a fallu, après 1945, accepter de régulières et conséquentes (sans être considérables) augmentations de salaire, celles-ci ont été stoppées, dès que possible, réduites à presque rien, voire à rien, alors que, dans le même temps, les
coûts structurels augmentaient, eux, régulièrement, voire fortement, comme avec le passage à l’euro. Il est donc d’une très grande importance de déterminer à quelle période, par qui et pou quoi, un basculement du Bien-pour-tous pour le-profit-de-quelques-uns s’est opéré, si le monde «intellectuel» a une responsabilité, des responsabilités, et lesquelles, et pourquoi la pensée politique originaire, antique, reste supérieure à celle que nous connaissons et subissons – qu’il s’agisse de ses objets de réflexion, de connaissance, de ses analyses, de ses propositions, et pourquoi une véritable Renaissance passe par la connaissance de cette copie, partielle, d’un modèle, qu’elle prétend avoir fait disparaître.

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