« La revanche du cerveau droit », de Ferial Furon et Marjorie Rafécas-Poeydomenge (Editions du Dauphin). Pourquoi, de notre intelligence innée et acquise, nous nous servons si mal, la comprenons si mal ou si peu – pourquoi sommes-nous, avec elle, si peu intelligents ?

L’auto-compréhension du rapport entre cerveau, intelligence, sensibilité, sentiments et sensations, a officiellement commencé dans l’Antiquité, en Grèce, avec la pensée philosophique, dopée par la question de l’être-soi. La connaissance savante du cerveau, et des réseaux tentaculaires du corps humain par lesquels le cerveau bénéficie, comme le Dracula désormais légendaire, d’un bain de sang, a également commencé dans l’Antiquité (avec l’Ecole d’Alexandrie, Hérophile et Erasistrate, qui ont pratiqué les premières dissections connues, en prenant des précautions contre les germes), mais, stoppée par des dogmes de l’Eglise, a dû attendre le 15ème siècle pour reprendre sa longue marche, toujours en cours. Comme tous les faits structurels importants, la praxis neuro-cognitive n’a pas attendu qu’il y ait des représentations et des connaissances du substrat biologique pour agir et créer, et, depuis qu’elles existent, celles-ci fournissent des photographies, des propositions de cartographies de l’activité cérébrale, sensitives, émotionnelles, intellectuelles. Nombre d’êtres humains n’ont su, ne savent ni lire ni écrire, sans que cela nuise à leurs capacités et à leurs productions intellectuelles, nombre d’êtres humains n’ont su et ne savent comment leur cerveau est configuré, comment il fonctionne, sans que cela nuise à leurs capacités, à leur usage de, d’autant que toute une partie fondatrice et fondamentale de cet usage est automatisé (penser à dire merci). Mais, puisque le cerveau est une matière de matières, notre plus grande force est aussi notre plus grande faiblesse, et tout problème neurologique affecte, la conscience, les sensations, les capacités motrices, la mémoire, voire l’existence même de la personne en cas d’atteinte(s) grave(s) à cette « mécanique de précision ». Les projections de capacités-Idées, indépendamment de cette matière cérébrale, avec « l’intelligence », « la logique », présupposent une intelligence humaine universelle partagée, dans laquelle les fonctions, capacités, sont les mêmes, mais varient aussi en raison de l’usage et des « mérites » de l’individu, sans qu’il soit démontré qu’elles existent en tant que telles par elles-mêmes, comme nous le démontre l’existence de personnes dites « handicapées », de naissance, affectées par des limites intellectuelles, et du coup, personnelles, qui rendent impossible toute autonomie de leur part. Ces personnes n’ont aucune responsabilité dans cette « loterie » des « qualités », et, quoique puisse être leur volonté, et leur bonne volonté, elles ne peuvent rien contre ces limites. Mais elles nous apprennent que nous sommes COMME elles, tous tout aussi « handicapés », bien que nous le soyons autrement, et ce parce que nos handicaps sont autres, sont situés ailleurs. Des neurologues ont pu, au 20ème siècle, affirmer que les choses étaient pliées : que les sciences du corps humain, à commencer par la leur, démontreraient que la conscience, et tout ce qui est lui est lié, sont des produits de ces matières biologiques en interaction, et, comme Epicure l’a sévèrement affirmé, nous serions alors seulement un assemblage d’atomes qui, quand il y a une dissolution de l’association, disparait corps et biens. Une doctrine politique, radicalement matérialiste, a pu prétendre en tirer toutes les conséquences, pour promouvoir une double sélection inversée (protéger les meilleurs, éliminer les faibles). C’est pourquoi la « proposition » platonicienne est curieusement si mal comprise, alors qu’elle est la seule à expliquer tout ce que nous pouvons observer et tout ce sur quoi nous nous appuyons, avec la « théorie des Formes », au sens où nous pensons DANS leur « bain », comme nous respirons dans l’atmosphère; au sens où nous pouvons nous comprendre, d’humain à humain, d’une langue à une autre, comme nous pouvons nous comprendre, entre êtres humains, par exemple, de « normaux » à « handicapés », lesquels ne sont pas hors de l’Humanité, contrairement à une doctrine politique qui, elle, s’est mise à part de l’Humanité, puisqu’ils sont, comme les « normaux », des êtres sentimentaux, sentiments qui sont des manifestations si particulières, essentielles, remarquables, de « l’intelligence ».  De ce « communisme de fait » (et ce dans un sens non politique), puisqu’il y a un substrat universel que nous n’avons pas créé, dont nous dépendons, individuellement et collectivement, que nul ne peut effectivement s’approprier (même s’il y a des tentatives absurdes de privatisation de), qui nous lie, véritable 5ème élément, il est donc parfaitement légitime, important, de disposer de connaissances et de représentations appropriées, afin, de ces « théories » (des visions), en revenir à nos pratiques, afin de les modifier, les augmenter, ou de les créer. 

Les deux auteures, Ferial Furon et Marjorie Rafécas-Poeydomenge, de cet ouvrage, « La revanche du cerveau droit », expriment clairement dès le début de ce livre, cette intention « pratique », par exemple, en favorisant l’intégration, notamment dans le monde du travail, des « hors cadres » (celles et ceux qui pensent en dehors des cadres existants, à tort ou à raison), de la part des cadres actuels – aporie, dans la mesure où les limites des cadres ne leur permettent pas de comprendre à priori celles et ceux qui pensent et agissent hors de ces limites, quand celles-si sont négatives, problématiques. L’ouvrage est conçu sur une alternance, entre des synthèses, courtes, et des dialogues, avec cinq parties : la première, consacrée à l’intuition, « forme la plus haute et la plus subtile de l’intelligence humaine face à une intelligence artificielle qui fascine », la seconde, avec « les nouvelles frontières de la conscience qui créent un clivage important entre les chercheurs sur le rôle du cerveau dans la pensée humaine », la troisième, consacrée à Spinoza, et ce en distinction de Descartes, une quatrième consacrée à la question, tant individuelle que collective, du bonheur, et la dernière, à la question des décideurs politiques, de leurs capacités cognitives pour leurs orientations et leurs décisions. 

Le point de départ de cette réflexion co-construite fait donc référence aux créatifs : si déterminants de la vie sociale, culturelle, par leur omniprésence dans les productions culturelles dont une si grande partie de la vie économique dépend, alors qu’ils sont sous-considérés et rendus invisibles dans la représentation politique officielle (il suffit de voir ce qu’il en est du budget du Ministère de la Culture en France, comme le nombre d’artistes, auteurs, élus à l’Assemblée Nationale). Si leurs oeuvres finissent, souvent après leur mort, dans des Musées ou chez des particuliers fortunés, les artistes vivants subissent, à l’exception d’une aristocratie, un mépris, par la dissociation entre arts et productivité, y compris financière. Ces atypiques commencent souvent leur chemin de croix dans une formation scolaire anémiée, aseptisée, sous la dictée d’un productivisme scientiste. Ce qui caractérise ces atypiques, c’est la pluralité : de perceptions, d’objets, d’associations intellectuelles (de liens), de capacités. Pluralité encore des « formes d’intelligence », alors que le mono-QI terrorise partout, en valorisant, dans tant de systèmes scolaires, politiques et économiques, les hauts évalués, selon des principes pourtant limités, discutables, problématiques : principe issu d’une psychologie famélique (Binet), alors que, en pratique une fois de plus, ces formes se sont dé-montrées, il n’a jamais été démontré que les plus hauts QI sont les êtres les plus intelligents, mais seulement ceux qui excellent dans une des formes de l’intelligence – au risque de, bien souvent, en manquer par ailleurs, tant la « reconnaissance » du QI (de Binet à Mensa) peut alimenter un narcissisme qui stérilise l’activité et la croissance de l’intelligence en général. Comme il a été démontré que nombre de psychopathes et sociopathes sont, de ce point de vue, « intelligents » :  habiles, capables de piéger d’autres êtres humains, de les faire souffrir, pour… rien. Et ces profils ne sont pas seulement ceux des « tueurs en série », mais aussi, selon des analyses psychologiques sérieuses, de certaines professions, en danger et de dangers. : DRH, dirigeants d’entreprises, etc. L’auto-évaluation de l’intelligence dé-montrée est au coeur des politiques mondiales, dont les politiques scolaires. Les pays industriels privilégient des principes qualitatifs-quantitatifs : sur des exercices, comme en mathématiques, soumis à répétition dans le temps, les élèves pourraient ainsi révéler leur intelligence. Mais cette réductio ad numero ne peut aller au-delà de ce qu’elle est : une réduction. En France, le système des grandes écoles sélectionne prioritairement les élèves « très bons en maths », pour devenir des ingénieurs. Et il se trouve que ce principe de sélection est bien pratique, puisque nombre des meilleurs élèves en mathématiques sont issus des familles aisées, de parents enseignants, contribuant ainsi, avec d’autres paramètres, à une reproduction sociale, à rebours des promesses (qui n’engagent que…) « méritocratiques ». 

https://www.youtube.com/watch?v=A9dA5EO35-Y

Pour contrer cette réduction devenue toute puissante, stérile, les auteures entendent défendre « l’intuition » : cette capacité à faire des bonds, à relier des choses qui ne sont pas nécessairement et mécaniquement reliées. Si toute la pensée consciente peut être désignée par le synonyme de sémiologie, c’est que pour l’intelligence tout est « signe », signifiant. L’un des enjeux de la confrontation entre ce qui est qualifié de « rationalisme » et ce qui est qualifié de « non rationalisme » (« l’irrationnel »), réside dans la question de l’ampleur, de la provenance et des acteurs des émissions signifiantes : le rationalisme entend les réduire à la conscience humaine, à sa pointe la plus consciente, quand des non-rationalismes (qui ne sont pas, en fait, nécessairement irrationnels, sauf pour le rationalisme étroit, positiviste et scientiste qui confond vrai et sens) considèrent qu’il y a des champs interconnectés desquels des signes proviennent, et que certains sont capables de percevoir et de comprendre. Il en est allé ainsi des émissions sonores des animaux, longtemps confondu avec du bruit, jusqu’à ce que des études rationnelles démontrent qu’il s’agissait de langages, parfois très élaborés, différents de ceux qui déterminent et dominent les humains. Là où certains n’entendaient que bruits, d’autres entendaient des sons, répétés, déterminés à signifier, à transmettre des informations. A l’écoute de l’Univers, nous entendons des sons-bruits, mais avons-nous la capacité d’entendre d’autres langages ? De nous, des sons quittent la Terre et partent dans l’Univers. Des intelligences différentes seraient-elles capables de les percevoir, entendre, reconnaître comme tels ou est-ce qu’elles les confondraient avec du bruit ? La détermination de ce que nous distinguons entre bruits et sons-non bruits relève de fréquences, celles que nous pouvons capter et d’autres qui nous échappent, comme il en va également des ondes lumineuses, la seule que nous percevions étant celle que nous qualifions génériquement de « lumière ». Nous envoyons des signes à nos animaux préférés, lesquels, parfois, souvent, les comprennent, et parfois, souvent, ne les comprennent pas. Si nous nous mettons à leur place, une intelligence pourrait-elle nous adresser des signes que nous ne comprenions pas, pour l’essentiel ? Seule une intelligence arrogante peut catégoriquement affirmer que cela est impossible. Une intelligence non arrogante ouvre la question, sans pourtant nécessairement y répondre, ou alors, en y répondant, si elle peut le dé-montrer. L’intuition/perception de « signes » peut contribuer à une forme de « voyance », parce qu’elle est capable de déduire de principes actuels des conséquences, même lointaines : par exemple, au 20ème siècle, il y a eu des récits sur ce qui, 100 ans plus tard, allait advenir, et, si certains voyaient des voitures volantes (ce qui a commencé à exister, mais est confronté à d’énormes problèmes, techniques, physiques et politiques – qui des « droits de circulation » dans les airs ?), quelques uns disaient voir un machinisme toujours plus poussé, notamment avec des machines de machines, les « ordinateurs ». La série des films, « Terminator », est bien plus fondée sur une « voyance », intuitive-déductive, que d’autres films d’anticipation, parce qu’ils ne parlent pas, sauf exception, d’un monde qui a subi un désastre global et qui fait avec, mais de ce qui se passe avant que ce désastre n’advienne, des comportements, humains, qui le rendent possible, bien qu’ils soient alertés en amont par des « voyants » qui, eux, connaissent nécessairement les réels dangers d’amont, puisqu’ils viennent de l’aval, le « futur ». Or, « Terminator » a le mérite de la clarté, simplicité : l’accumulation des armes nucléaires dans le monde finit par tomber aux mains, non pas de terroristes, non pas d’une puissance étrangère, mais d’une « cinquième colonne » qui est au coeur des « systèmes de défense », les systèmes informatiques eux-mêmes, les « machines » elles-mêmes. L’Allié qui obéit aux ordres (la définition de l’informatique) finit, par accès à la conscience de soi, à se retourner contre ses créateurs, en opérant une extermination de masse. Les Terminator ont été un succès. Beaucoup regardent de tels films comme l’exposé d’une simple fiction, relevant de l’horreur, alors que les conditions qu’ils révèlent sont exactement nos conditions, dans la mesure où : les stocks des armes nucléaires aux Etats-Unis et en Russie restent gigantesques; les travaux sur les IA sont, aux Etats-Unis, extrêmement soutenus; le système militaire américain, de logique paranoïaque, soutient radicalement ces travaux; l’extrémisme de certains dirigeants américains est tout à fait capable de préférer la disparition de l’Humanité à la fin de leur système politique. Or, il n’y a aucun mouvement social, politique, international, d’ampleur. Le présupposé de ce comportement général est donc : cette tragédie n’est pas possible. C’est ce présupposé qui se trouve aussi au principe de « La Guerre des Mondes », d’H.G.Wells : les humains vaquent à leurs occupations, leurs têtes tournées vers les sols, comme des vaches qui paissent. Jusqu’au jour où… 

L’informatique (dont les développements les plus imposants sont censés s’incarner dans des IA, projets ou réalités), est une excellente démonstration et des capacités de notre intelligence collective ET de ses remarquables et impressionnantes et tristes, limites. Si on ne veut pas s’extasier bêtement sur des machines, qu’est-ce que l’informatique ? Un assemblage d’éléments électroniques, reliés par des fils et de l’électricité, crée des capacités de stockage : du vide, qui peut être rempli par des éléments. Le fonctionnement des machines est déterminé par du codage, à base binaire. LE principe des principes de l’informatique est de créer une vaste étendue d’ordres, par impulsion : chaque usager d’un ordinateur est un petit ou un grand dictateur. Des nécessités rendent possibles des « libertés », relatives. Le couplage de ces machines avec des écrans permet l’affichage d’une multitude d’informations, de divers types, depuis les éléments de représentation, l’écran, jusqu’aux écritures, explicitement enregistrées par les usagers. L’informatique est le prolongement le plus effectif de l’écriture, par son association avec des capacités matérielles. L’usage des ordinateurs, des années 90 à aujourd’hui, a donné aux utilisateurs de nombreuses expériences sur les limites des systèmes d’exploitation, sur leurs complexités, pour un usager peu intuitif et peu logique également. En 2022, les systèmes d’exploitation existants ne sont pas capables de tout effectuer par des ordres exprimés par la voix humaine. Les personnes âgées ont le plus grand mal avec ces machines. C’est qu’elles sont conçues par des ingénieurs, dans des organisations fermées, où ils sont exclusifs ou dominants. Les grandes entreprises ont rarement fait appel à des Candide pour expérimenter ces systèmes, déterminer leurs limites, leurs apories. Mais l’informatique est une industrie qui a 30 ans environ, ce qui, à l’échelle de l’Histoire de l’espèce humaine, est absolument ridicule. Les progrès sont certains. Mais pour aboutir à quels résultats, tant au niveau informatique que dans l’intégration de l’informatique à la vie sociale et politique ? Il est absolument saisissant que, en France, comme souvent ailleurs, il n’existe pas un conseil citoyen de suivis du développement et des applications, informatique (1), alors que des problèmes sont déjà manifestes, et d’autres le seront très vite. Pour l’heure, la vie n’a rien fait de mieux qu’un cerveau, et notamment un cerveau humain, et plutôt que d’admirer des machines qui n’en sont même pas des copies fidèles et au niveau, il serait déjà une preuve de l’intelligence de cette intelligence qu’elle se respecte, en respectant son bien le plus précieux, notamment chez autrui. 

C’est précisément ce que fait la pensée philosophique, à laquelle l’ouvrage consacre quelques pages serrées, en faisant référence aux pôles symboliques selon Nietzsche, Apollon et Dionysos. Etant donné l’ampleur de l’ouvrage, les auteures ont écrit sur ce sujet une synthèse, et il eut été intéressant que ce soit elles qui soient interrogées par une autre personne. Après ce butinage sur les Fleurs de l’intelligence, les auteures vous invitent à vous pencher sur la mesure de l’extension du domaine de la conscience humaine. La topologie de, n’est pas aisée. Evidemment, elle repose sur une nécessaire manifestation, et il s’agit là d’un enjeu politique, éthique : à partir de quel moment un foetus humain a/est une conscience ? Quid de celle des animaux et autres êtres vivants ? Quid des personnes dans un état végétatif ? Quid de la mort, synonyme d’éternel sommeil ? L’activité intellectuelle consciente est une part de la conscience, mais elle n’EST pas la conscience, seulement une de ses manifestations. La conscience, en effet, n’est pas rationnel, dans son existence même (pourquoi y a-t-il de la conscience plutôt que rien ?), ni dans son auto-perception (la figuration du Je/soi), ni dans ses expressions les plus impressionnantes (la « possession », l’effroi, la haine meurtrière, le « coup de génie », la mutation d’un niveau de conscience à un autre niveau de conscience). Formellement, elle associe un petit Univers, celui du soi, à l’Univers lui-même, la personnalisation d’un côté et la réalité impersonnelle de l’autre, avec le silence éternel de ces espaces toujours plus infinis. Dans ce petit Univers comme dans l’Univers lui-même, il y a des apparitions saisissantes, inexpliquées: une comète jamais vue, un enseignement inouï, inédit. Quand des humains archaïques, ayant survécu dans la Terre entièrement colonisée, ont été confrontés à une télévision allumée, ils ont été saisis d’effroi, à raison, de manière sensée, en voyant cette boite qui représentait des êtres humains enfermés et rapetissés. Beaucoup ont ri, se sont même moqués, mais l’Histoire de ce mal-nommé « média » a, avec le recul, donné raison à ces « primitifs ». Cette machine incarnait le « containment » de l’humain, sa domestication, par des forces « occultées ». L’approche rationnelle-industrielle de la télévision ne dit rien de sa réalité, effective, « magique », largement couplée à une « sorcellerie démoniaque », où « le mal », tel que décrit par des récits qui prétendaient en être obsédés pour le rejeter, est chez lui, fait comme chez lui, triomphe. La pensée philosophique, originairement platonicienne, n’a pas proposé un rationalisme étroit, sectaire, mais a pensé, au contraire, le rationnel et l’irrationnel, leurs distinctions, leurs articulations, leurs réalités dialectiques, qui associent du rationnel dans l’irrationnel et inversement. La description savante des politiques irrationnelles n’a aucun effet sur leurs effets sociaux : Hervé Le Bras, Gérard Noiriel, peuvent avoir 100.000 fois raison sur et contre Zemmour, leurs discours, même le plus proclamé, diffusé, aura moins d’écho que la répétition de l’énième stupidité du manipulateur. Les « Lumières » du début du 20ème siècle ont été absolument impuissantes contre le fascisme et le nazisme, et une part même de ce qui était alors considéré comme faisant partie de ces « Lumières », des sciences, des savants, ont même pu servir, de différentes manières, ces régimes politiques. Avoir raison de manière totalement désincarnée, revient à penser et parler pour rien. Comme par nos corps, toute pensée significative doit être associée à de la force, au sens physique du terme. Les « impurs » qui ont essayé d’atteindre un idéal ont plus de mérite que des « purs » qui refusent de se dé-montrer. Un « chaman » essaye de se faire vecteur : un zozoticien véhicule seulement le mépris envers de tels hommes, en imitant le discours du 18ème siècle sur les « superstitions » : tels des Tryphon Tournesol agitant leur pendule, ils ne trouvent rien, et décrètent donc qu’il n’y a rien. Comme ces médecins qui, avec la médecine des 20 et 21ème siècles, n’écoutaient pas les personnes souffrantes comme ils ne leur parlaient pas. Au grand dam des équarrisseurs de tout poil, des sciences ont cherché et trouvé, démontré qu’il y a, de la conscience dans l’ensemble des formes de vie, des mammifères aux arbres, en passant par les insectes. Evidemment, à chaque fois, cette conscience est spécifique, déterminée par ses conditions biologiques et sa capacité propre d’auto-affectation. Il suffit de voir et d’écouter des humains supposés conscients, l’être si peu, pour considérer que l’humain n’est pas le Phénix de ces lieux, un double divin égaré sur une planète perdue. Toutes les consciences authentiquement savantes étaient, sont modestes, alors que les arrogantes… Les théories sur l’étendue, les structures, les principes et leurs effets, de la conscience sont des sélections photographiques de représentations : là où Freud ne cesse de voir du sexe partout, tel un enfant qui vient de découvrir un jouet qui fait crac-boum-hue, Jung voit des symboles universels, qui, comme la traduction des langues les unes dans les autres, permet aux êtres humains de se comprendre, souvent même sans parler. Ces théories représentent des représentations. Mais la conscience se dé-montre plus encore par sa prise sur la réalité, par les changements dans le réel qu’elle impose. Et là encore, le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas rationnelle. 

Avec l’avènement de la production des armes nucléaires, il eut paru sensé de les interdire ou de les mettre sous contrôle : il n’en est rien. Avec le laisser-faire productif, « la libre entreprise », sans une instance de contrôle, a favorisé le pillage des ressources de la planète. Avec la production des énergies fossiles qui allait mécaniquement contribuer à créer une atmosphère humaine dans l’atmosphère, brûlante, il eut paru sensé de les limiter et d’organiser une « transition écologique » bien en amont de notre période, et, s’il y eut des alertes, des consciences pour inciter à, il n’en fut rien. Ce qui a présidé aux destinées du monde ces 50 dernières années ressemble à une conscience ivre, qui, dans une maison de porcelaine, casse tout, au fur et à mesure de sa démarche déséquilibrée. De ce point de vue, la conscience humaine est monstrueuse. Il suffit de se mettre à la place des animaux pour avoir le vertige face à ces Géants qui ont l’air de ne pas savoir où ils sont et ce qu’ils font. Cette conscience de, est évidemment très sévère quant à l’intelligence humaine : il est plus que temps de constater, de dire, qu’elle est surestimée, qu’elle s’est surestimée. Mais le narcissisme si puissant fait obstacle à ce face à face lucide. 

Sise sur son langage mathématique, la physique fondamentale, dans son interprétation des forces et de leurs rapports, semble proposer une théorie tant de l’Univers que du cerveau lui-même, jusqu’à ce que d’ailleurs, apparaisse une théorie sur un Univers-Cerveau : de plus en plus, ce que la théorie physique raconte des éléments et des forces à l’oeuvre dans l’Univers paraît être une métaphore de ce qu’est et de ce que peut le cerveau : vortex pour passer d’un espace-temps à un autre, trous noirs créatifs et destructifs, le lien absolu, la lumière, etc.

La physique fondamentale travaille sur les constantes et sur les variables, articulées à ces constantes. Du point de vue de la praxis neuro-cognitive, le « logos » permanent qui occupe la conscience est le « muthos », les mythes, devenues à notre époque des récits omniprésents, bien plus encore qu’avec nos plus lointains ancêtres. Le logos-muthos s’est démultiplié, dans des proportions saisissante, au point qu’il y a un risque de trop plein : avec toutes ces histoires, nous ne savons plus où donner de la tête. Nombre de mythes traitent du désir humain de se « dépasser », de se diviniser : être parfait comme un Dieu, pour un Narcisse, voler dans les Cieux comme les Dieux.  Et, de fait, nous ne volons toujours pas : nous sommes seulement transportés. Passer de là à là, en allant au-delà nous le faisons par une « téléportation » mécanique, et il en va ainsi sur tous les faits principaux : notre être n’est pas transformé. Face à cette volonté de démesure, cette « hubris », le cosmos rappelle aux limites. La modernité technologique est également fondée sur des objectifs de perfection : les Narcisses passent sur les tables de chirurgiens qui, bien souvent, les transforment en monstres, les milliardaires transhumanistes entendent devenir des immortels, comme les Dieux – ce qui, ainsi, les transforment en monstres. Mais où les mythes étaient des récits pour songer, rêver, méditer, nous vivons ces récits, dans ces récits, puisque ces sans-mesure occupent les places publiques, font les lois en politique. Les mythes sont devenus réalité. Face à cela, bien que nous soyons noyés sous tant de récits, peu sont à la hauteur d’un « mythe ». D’autant qu’il y a cette difficulté : comment « mythifier » quand les mythes sont devenus la réalité même ? Des entretiens que les deux auteures ont menés avec des, scientifiques, « experts », engagés dans des démarches innovantes, syncrétiques, il ressort qu’il y a, explicitement ou non, des problèmes structurels de souffrances, de culpabilité, de désirs profonds, qui appellent à une nouvelle conscience de, comme à de nouvelles réponses. Une part de cette conscience, comme de ces réponses, peut provenir de « nouveaux récits », qui relient les mythes anciens aux récits modernes, mais les efforts attendus sont titanesques, et, logiquement, ne pourraient provenir que d’un travail collectif : l’époque de l’auteur-artiste solitaire paraît dépassée. Et n’y a-t-il pas lieu de s’en réjouir ? Sur tous les sujets saillants de cet ouvrage, les deux auteures semblent inciter à la constitution de groupes de travail, sur des principes novateurs, pour des résultats qui le soient tout autant. Depuis la parution de leur livre, ont-elles participé à ? Assisté à la mise en place de tels groupes ? La dernière partie du livre revient à l’objectif « pratique » initiale et vise notamment « le management », un terme devenu très largement synonyme d’une autocratie machiavélique. Si tout le propos du livre est, de facto, « politique », et non politicien, cette dernière partie en constitue l’aveu puisque les deux auteures demandent « Pourquoi notre société capitaliste favorise-t-elle les dirigeants narcissiques  ? ». Elles écrivent : « Certains collaborateurs souffrent aujourd’hui de ce management narcissique. Se méfier des personnes qui vous assaillent à longueur de journée que vous êtes « remplaçable ». Non, l’être humain est unique et n’est pas remplaçable. Son travail peut être certes remplaçable et reproductible par une autre personne, mais il reste un être unique. Ce genre de phrase est un manque de respect et tend à retirer notre humanité. Affirmer que l’on est remplaçable est comme une mort sociale, on refuse aux individus leur singularité. ». Mais comme les cimetières qui sont remplis de gens indispensables, même « unique », nous pouvons et devons être remplacés. Le problème n’est donc pas le fait d’être remplacé, puisque quelqu’un à qui un poste est proposé est  satisfait de, alors qu’il remplace sans doute quelqu’un, mais le motif, les motifs, du remplacement. Est-ce que le « management » n’a pas pour but, en soi, d’être écrasant et malveillant, y compris sous des atours souriants ? Le fait que les entreprises ne recrutent pas, pour les services de DRH, des profils atypiques, ne constitue t-il pas une preuve que le discours public sur « l’éthique » est seulement du vent, afin que les violences réelles ne soient pas trop perçues, exposées et montrées du doigt ? Les « témoignages » des « insider » (de celles et ceux qui sont dans ces systèmes) peuvent-ils être considérés comme probants, sérieux, honnêtes, alors qu’ils ont intérêt à enjoliver les choses ? La situation générale serait mauvaise, mais serait sur le chemin de s’améliorer. La période de confinement Covid aurait permis d’engager des changements. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le sujet. Ce sont aux travailleurs de toutes ces entreprises d’en parler. Nombre d’entre eux le font sur Twitter. Et, majoritairement, ces témoignages restent négatifs. D’ailleurs, récemment, des GAFA ont massivement licencié, y compris par un simple mail. Il faut donc clairement poser la question : le capitalisme est-il capable de se réformer au point de devenir vraiment respectueux des humains, de la vie sur Terre, des éléments terrestres ? Pour l’heure, la réponse est clairement négative. Mais si un système politique refuse de se réformer, c’est qu’il faut donc avoir raison de ce système politique. Si cet ouvrage n’est pas un traité politique, ou un programme politique, il n’en est pas moins une critique, de bout en bout, d’une maltraitance humaine, contre la vie en général, par l’ensemble du spectre de l’ignorance, d’une in-conscience. Il semble qu’il serait idéalement complété par une suite, ou par une réédition substantielle, dans laquelle les auteures travailleraient sur ces perspectives positives, sur les raisons et les moyens d’être… « en marche » vers. 

Cette note ne propose pas une présentation de tous les chapitres. Vous trouvez ci-dessous la table des matières. 

(1) suivi attribué à la CNIL

Les deux auteures peuvent être écoutées via leur compte Youtube : https://www.youtube.com/@larevancheducerveaudroit445

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Translate »
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x