
Il y a quelques jours, nous avons appris le décès de Gaëlle Sartre-Doublet. Cette note ne propose pas une biographie, puisque nombre de détails concernant la vie de Gaëlle ne sont pas connus de l’auteur. Il s’agit d’un hommage, imparfait, parce qu’il y a tant à dire. Il s’agit donc d’en prendre ma part, aux un(e)s et aux autres de prendre la leur. Gaëlle a suivi des études de Philosophie jusqu’en maîtrise, et elle est brièvement devenue professeure de Philosophie. Elle a également été journaliste à la Dépêche, puisque Gaëlle a passé la plus grande partie de sa vie à Toulouse. En 2003, alors que les Etats-Unis avaient envahi l’Irak, Gaëlle a considéré que, face à tant de méfaits, il manquait, en France, un média en ligne, indépendant, et novateur. Elle a cherché à constituer un premier groupe, pour le commencer, et c’est ce qu’elle a réussi à faire, pour lancer « Vox Populi ». Actuellement, le site n’est plus en ligne. Les archives de ce média en ligne sont accessibles ici, en partie, mais surtout ici .

En 2003, le nom de domaine renvoyait vers un site espagnol, et c’est seulement à partir de la fin 2003, que les premières pages de Vox Populi apparaissent, comme en atteste les reproductions ci-dessous.


Comme l’indiquent les enregistrements d’Internet Archive, la période intense de parutions de Vox Populi a duré environ 5 ans, avant de diminuer progressivement. Une page, du 7 novembre 2007, illustre ce que fut le média en ligne pendant ces années :

L’accès à cette page permet d’accéder aux autres pages, et l’accès à cette page à l’ensemble des parutions. Fin 2003, ce média, animé par des bénévoles, faisait connaître sa « ligne éditoriale », laquelle, près de 20 ans plus tard, a conservé toute sa pertinence :
- les sujets, leur hiérarchie et leurs angles de traitement n’imitent pas ceux des médias français dominants ;
- la ligne éditoriale n’est pas « nationaliste », c’est-à-dire qu’elle ne privilégie pas un sujet parce qu’il est franco-français mais parce qu’il intéresse le plus grand nombre, qu’il est « universel » ;
- les personnes qui sont surexposées par les médias dominants n’ont pas vocation à l’être dans VoxPopuli. Si elles le sont, les articles qui les évoquent ne doivent témoigner d’aucun a priori. A ce titre, les individus qui sont soumis à des critiques fréquentes de la part de la société comme des médias doivent pouvoir bénéficier d’une enquête sérieuse, tant sur leur personne que sur leur situation. A l’inverse, les personnes dites « people » ne feront l’objet d’aucun traitement de faveur. Dans cette optique, aucune personnalité ne sera la victime ou le bénéficiaire de dizaines de unes successives ni rapprochées (cf. Bernard Tapie à ses grandes heures).
- Les rédacteurs de VoxPopuli ne peuvent se targuer de connaître, de diffuser ou d’exprimer « la vérité ». Pour éviter que VoxPopuli ne se transforme en une gigantesque tribune ou en média politique pour chroniques, les rédacteurs auront le souci de diversifier leurs sources, c’est-à-dire d’enrichir leurs articles d’une diversité doxologique. Les sujets les plus sensibles feront ainsi l’objet d’un traitement équilibré qui, par l’exposé des arguments « pour » et « contre », permettra au lecteur de se faire une véritable libre opinion. Dans le cas contraire, si le thème abordé est particulièrement ardu ou polémique, les rédacteurs auront à charge d’indiquer au lecteur qu’ils sont dans l’incapacité d’élaborer, au moins momentanément, un article « argumentatif », soit par manque d’information, soit par parti pris. Dans cette hypothèse, ils devront dès lors présenter leur papier non comme un article, mais comme un billet d’humeur.
- Afin de représenter et de faire vivre cette diversité humaine et doxologique, les rédacteurs de VoxPopuli essaieront de créer les conditions réelles d’un débat visible entre les différents acteurs d’un problème social comme au sein même de la rédaction.
Le 20 janvier 2004, une association était créée. Et c’est ainsi que pendant plusieurs années, Vox Populi a publié des éditos, mais aussi des enquêtes, des entretiens, par Gaëlle, Philippe Lheureux, Rezki Mammar, Laetitia Koch, Albert Fleury, et d’autres. Pour mesurer le travail qui fut réalisé, il faut mettre les choses en perspective : au début des années 2000, l’accès à Internet n’était pas aussi développé, aisé, qu’aujourd’hui (quand il est possible, il ne faut oublier ni les « zones blanches », ni les personnes qui n’ont pas accès à, en raison d’un défaut de ressources, puisque, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, Internet n’est pas, pour nous usagers, « gratuit »). Quant aux médias en ligne, ils n’existaient pas ! Médiapart a été créée en 2008. Les quotidiens et magazines ne disposaient pas ni d’une version en ligne, ni même d’une rédaction spécialement dédiée à. Pendant toutes ces années, Vox Populi a été un média gratuit. Une licence « Creative Commons » a été utilisée, afin d’identifier les créations de Vox Populi, en requérant seulement que, dès lors que des articles étaient cités, la source soit mentionnée. Des illustrateurs ont publié des dessins humoristiques, des caricatures, comme par exemple celle-ci « dédiée » à Thierry Ardisson, alors qu’était annoncé une émission de télévision sur le même titre que le site. Il faut mesurer que Gaëlle a fait ce travail, tout en étant elle-même salariée, notamment après son recrutement par le Conseil Départemental de l’Aude, où elle fut assistante de conservation du patrimoine. Les années ont passé, et sans qu’il y ait une raison objective et déterminante, l’espace et le temps ont imposé cette distanciation bien connue, « loin des yeux, loin du coeur », sans compter, évidemment, le temps quotidien, les obligations des uns et des autres. Il aura manqué peu, notamment une rencontre annuelle comme celle qui eut lieu au début de l’aventure, une ambition collective, pour faire de Vox Populi, média d’amateurs avec une conscience civique, un média durable, à part dans le contexte français, et depuis, professionnel. Les atouts, de la ligne éditoriale, des compétences des uns et des autres, étaient là. Gaëlle qui l’a sans doute su, n’a rien pu faire contre les départs des uns et des autres. A mon égard, elle n’en fut pas responsable, puisqu’elle ne m’y a pas incité, ne l’a pas souhaité, est resté disponible pour échanger. Quand les moyens de communication furent meilleurs qu’au moment de l’apparition de Vox Populi, nous aurions pu reprendre ce chemin en commun. Nous ne l’avons pas fait, et ce qui n’est pas fait reste souvent à faire. Mais quand une Gaëlle n’est plus là, ce qui reste à faire n’est plus pareil, sans elle. Gaëlle vient d’un monde où les cigarettes étaient omniprésentes, et peu chères. Elle en a pris le goût de fumer, et elle a beaucoup fumé. Les souvenirs l’associent avec une cigarette. Il y a beaucoup de regrets de ne pas l’avoir revu une nouvelle fois. C’est que l’on oublie notre propre mortalité, et bien plus encore celle des autres. Jusqu’au jour où… Salut et pensées pour toi.
PS: si vous l’avez connu et que vous considérez que cette note ne mentionne pas ceci ou cela, vous pouvez ou en parler en commentaire ou écrire à l’auteur pour lui proposer un complément.
