On le sait – mais on ne le sait pas assez : l’invocation des mânes veut tout et rien dire. Il y a les sincères, les sincères mais ignorants, et il y a aussi tant qui ne sont pas sincères, à des degrés divers. Pour paraphraser un président de la République qui se moquait du totem « Europe » (lequel est pourtant devenu, à notre époque, l’alpha et l’omega de toutes les discussions et les argumentations, politiques, en France), l’invocation de Socrate ne dit rien sur celles et ceux qui font sonner son nom. Par exemple, au cours des siècles, Socrate fut confondu par certains de ces « Socratiques », avec un « sage », à l’instar d’un Pythagore, Bouddha, Zoroastre, etc, et ce alors qu’il est connu que Socrate n’a professé aucun principe-dogme. De manière originale, Nietzsche en fit un missionnaire, du ressentiment, et il s’est imaginé comme le démiurge-médecin qui allait guérir l’Occident de cette maladie à propos de laquelle son diagnostic fut confus. Les uns et les autres se retrouvaient dans une position de principe très problématique : ils ne prenaient pas Socrate au sérieux, et rien ne permettait alors d’en comprendre la singularité, la fécondité, culturelle, historique. Mais alors, qui fut Socrate ? Le seul qui nous soit connu est le vieil homme. Il faut dire que, dans une telle époque, dans un tel contexte culturel, technique, la connaissance de la vie personnelle d’un individu, de sa naissance à sa mort, n’était pas possible comme elle l’est aujourd’hui, où, avec l’électronique-informatique, toute vie humaine peut être, suivie, tracée, enregistrée, et, plus tard, racontée à partir d’informations récupérées sur la vie privée comme sur la vie publique. Or, évidemment, dans le cas d’un Socrate, cette ignorance dans laquelle nous nous trouvons est, évidemment, gênante, puisque nous ne savons pas comment Socrate… est devenu Socrate. Et c’est tout de même une question décisive : puisqu’il n’est pas né tel, comment est-il devenu ce citoyen singulier, qui marchait dans Athènes pour aller dialoguer avec ses frères de Cité ? Bien avant d’être cette conscience qui s’interrogeait et interrogeait ceux-ci, il a bien fallu que Socrate fut, pendant un temps, un jeune homme qui ne s’interrogeait pas autant, ainsi. Et, pour changer, il a fallu un déclic, ou, à tout le moins, des situations qui l’ont fait changer. Sauf évènement archéologique par essence, inattendu, mais, nullement impossible, nous en serons réduits à des hypothèses, et il faudra donc s’en tenir pour l’essentiel à ce Socrate « bien » connus de tous : l’homme âgé, qui parlait avec chacun, qu’il soit un « citoyen important » de cette Grèce qui a favorisé le développement d’une communauté séparée, dans les mots comme dans les faits, l’aristocratie, ou qu’il soit un citoyen comme lui, ce que le racisme social français appelle un « citoyen lambda », ou, « l’homme ». La singularité de Socrate se révèle totale par le fait de son comportement, « démonique » (cette voix qui lui parlait pour l’inciter à…), par la gloire qu’il a connu de son vivant, en raison de ce comportement, mais aussi par sa fin, puisqu’il est condamné à mort par la Cité à laquelle il a donné toute sa vie. De son procès, public, il nous reste bien des échos, à commencer par le dialogue de Platon consacré à, « L’Apologie de Socrate ». Or, c’est avec ce procès, les arguments invoqués pour l’incriminer, accuser et requérir contre lui, ses réponses, qu’il est possible de trancher entre celles et ceux qui, AUJOURD’HUI, feraient partie des accusateurs, ou des INDIFFERENTS/INDECIS, ou des défenseurs de. Avant de développer sur ce problème, rappelons qu’il fut poursuivi pour deux/trois motifs : le premier, qui peut être considéré comme unique (un même objet avec deux faces) ou comme double, l’impiété, avec des propos blasphématoires contre les Dieux de la Cité (et donc, contre ces Dieux, la promotion de divinités de remplacement), la corruption de la jeunesse. A priori, on pourrait penser que, notamment sur la question « cultuelle », celle-ci est loin de nous, et que, par contre, pour la seconde, celle-ci est très près de nous, surtout si nous entendons par « corruption », des pratiques pédocriminels. Ce serait, évidemment, un anachronisme et une erreur majeure, parce que, précisément, Socrate est connu pour ne pas avoir recherché et pratiqué les relations « pédérastiques » qui, dans cette Grèce ancienne, étaient structurelles et appréciées, « normales », parce que relevant d’une norme, à suivre. La « corruption » était la mise en cause du détournement des comportements sociaux, socio-politiques, des jeunes gens qui n’imitent pas leurs pères, les critiquent.
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