Après Jacques Chancel l’année dernière, c’est Daniel Mermet qui vient de recevoir le Grand Prix de la SCAM (Société civile des auteurs multimédias) pour « l’ensemble de son œuvre ». Décernée le 21 juin dernier, cette gratification récompense un journaliste hétérodoxe de 71 ans qui a hissé le reportage radiophonique au rang d’art sonore et battu le pavé des luttes sociales en France et à l’étranger depuis un quart de siècle. Elle distingue aussi l’émission qu’il produit et anime chaque jour sur France Inter, « Là-bas si j’y suis », l’un des rares espaces dans l’empire audiovisuel français à faire écho aux luttes sociales et aux pensées dissidentes. Pour tout ce que la « gauche de gauche » compte en éditeurs, auteurs, artistes ou chercheurs ignorés par les grands médias, « Là-bas si j’y suis » (LBSJS pour les intimes) représente un refuge intellectuel en même temps qu’une fantastique aubaine promotionnelle : il n’y a guère que « chez Mermet » qu’ils peuvent accéder à un public de 610 000 auditeurs en moyenne (chiffres Médiamétrie 2012), réputés fidèles et réceptifs. Mais la remise du hochet de la SCAM – lesté tout de même d’un chèque de 7 000 euros – au baryton de la résistance FM fournit aussi l’occasion d’éclairer une facette plus méconnue du personnage : les pratiques managériales pas toujours très scrupuleuses dont il use avec les plus précaires de ses collaborateurs. L’heure étant venue d’honorer « toute son œuvre », arrêtons-nous un instant sur cette œuvre-là.
L’information ne s’est pas ébruitée hors des couloirs de Radio France, mais LBSJS peut se targuer d’être l’une des très rares émissions du service public où les souffrances au travail ont donné lieu à une enquête interne. C’était le 17 janvier 2012. Ce jour-là, alertés sur le cas de deux reporters à bout de nerfs récemment jetés à la porte par Daniel Mermet, les syndicats de Radio France (Sud, CGT, CFDT, FO, SNJ, CFTC) votent à l’unanimité l’ouverture d’une audition des membres de l’équipe de LBSJS devant le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Panique dans les murs étroits du bureau 528, où le maître des lieux tente en urgence de parer au déballage qui s’annonce : envoi de SMS aux syndicalistes, promesses de révélations compromettantes sur les deux importuns qui ont osé, selon leurs termes, « briser la loi du silence », refus outragé de répondre au syndicat Sud, qui lui a fait parvenir un questionnaire précis sur les contrats, les heures de travail et les procédures d’embauche à LBSJS. Se peut-il que la bonne voix chaude qui défend les opprimés tous les après-midi à 15 heures soit citée à comparaitre devant les élus du personnel comme le serait un patron voyou dans quelque joyeuse république bolivarienne ? Chez Sud, qui mène la fronde, on ne lâche rien : la saisie du CHSCT, c’est l’occasion tant attendue de mettre enfin sur la place publique le « comportement de petit tyran, les insultes et les méthodes de Daniel Mermet », se réjouit un permanent du syndicat.
- Dessin de Bench
« La plus ubuesque des impostures »
Les deux témoignages à l’origine de l’enquête ne surprennent pas les syndicalistes ni les habitués de la maison, mais, pour un auditeur confiant dans la soif de justice sociale qui paraît animer le producteur de « Là-bas si j’y suis », ils ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. Dans sa lettre aux syndicats, Benjamin Fernandez, l’un des deux lanceurs d’alerte, évoque par exemple « la plus crapuleuse des entreprises d’exploitation et
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