Avec ses deux dernières parties, «La Sauvagerie» de Thierry Galibert approfondit l’exposé, l’analyse conséquente, d’une anthropologie, tant praxis (l’incarnation, par les pratiques, ce que Hegel appelle, pour les peuples, l’éthos) que théorie, de ces Européens qui se prennent pour le tout-tous du monde, que des «Sauvages», ceux que Montaigne a vu de ses propres yeux, que Bartholoméo de la Casas (cf page 284) a également vu dans les premières colonies génocidaires hispaniques. Anthropologie : qu'il s'agisse du corps humain, vécu, représenté, conçu, comme de ce qui est projeté en tant que non-corps, l'âme, l'inconscient, etc, la différenciation est, violemment, radicale. Sans bibliothèque propre, les Sauvages, Native People des Amériques, comme les peuples de l’Afrique, n’en avaient pas moins des pensées, des idées, des savoirs, des motifs et des raisons, qu’ils se transmettaient oralement, comme le firent et le font les peuples modestes. Les Européens débarquèrent avec les armes et les livres-armes, les ouvrages par lesquels ils se justifiaient de ce qu’ils firent : la Bible pour commencer, mais aussi des œuvres de faux ou d’anti-humanistes, de colons par «l’idée de l’universel» (comme on a pu le voir en notre temps par les intellectuels «missionnaires des Droits de l’Homme», les BHL et consorts qui justifièrent tant de destructions). Les Sauvages vivaient par et pour des limites, les Européens, colons, entendaient, tout, délimiter, sans limite, au nom d’un «espace vital» que, plus tard, une conscience européenne finit par formuler, telle quelle. C’est pourquoi Thierry Galibert tient tant à exposer pour ce qu’elles sont les «fausses Lumières». Les prétendus «libres penseurs» du 18ème siècle se révèlent être des dogmatiques politiques violents, et Thierry Galibert cible particulièrement Voltaire, en tant que chantre du racisme social et du racisme. Si certains découvrent (ou font mine) de découvrir à notre époque que le monde tel qu’il est (dans son organisation de la désorganisation), est déterminé par ET POUR les inégalités (cf les ouvrages de Thomas Piketty qui, tout en étant pertinents, exposent ce que nous savons tous, par expérience), c’est-à-dire pour la valorisation systématique des plus possédants (actions, rentes, immobiliers), les arguments pour justifier cet état de fait qui imposent tant de manques et de drames à celles et ceux qui ne sont pas à la fête de la voie de l’Avoir, ont été particulièrement travaillés et énoncés avec ces «Fausses Lumières», et, contre cette fatale loi, le bon sens populaire a pratiqué et théorisé sa pratique, dans la recherche d’un vrai socialisme, à savoir l’association qui fait donc la société, les coopérations des coopératives. A l’instar de tous les peuples qui ont réalisé le démos-kratos, par la participation, et notamment la participation essentielle, et souvent, primordiale, des femmes (pour rappel, dans «Politeia», Platon, le premier, réintègre dans toute la vie sociale de la cité idéale, ces femmes, que les Grecs de son temps ostracisaient), les associatifs du 19ème siècle qui finirent par pouvoir s’organiser légalement l’ont fait, l’ont réussi, avec les syndicats (dont l’existence fut requise par une femme, Flora Tristan), les mutuelles (modèles de la sécurité sociale, du système de financement des retraites), les coopératives, contre lesquelles les agents de l’argent ont agi et agissent encore, avec la réussite, même provisoire, que l’on sait. Thierry Galibert entend montrer et démontrer que les prolétaires, populaires, des pays européens n’ont rien «inventé», sauf le détail de leurs organisations, puisqu’ils ont prolongé la «raison sauvage» (si universellement illustrée pendant les siècles des siècles, en même temps qu’elle était massacrée, par l’extension, «mondialisation», des codes politiques et économiques européens), et pour laquelle Rousseau a parlé, face à ces faux amis. Avant d’aller nommer et contrôler, comme des animaux, des Indigènes dans des territoires exogènes à la métropole, entendue comme «la République», ce sont les pauvres métropolitains qui, traités comme des chiens ou d’autres animaux, furent gardés, comme l’est un troupeau.
Le propos général de Thierry Galibert concerne la réalité de la différence entre le vrai et le faux, et notamment entre le vrai et le simulacre, la différence entre l'universel abstrait et l'universel concret. Si Artaud a pu déclarer, à propos de sa rencontre avec les Tarahumaras, «Je suis venu au Mexique en quête d’Hommes Politiques, non d’artistes». Là où la «Politique» en Europe a chu dans la mécanique économique partielle et partiale, les Tarahumaras, symbole de ce que furent et sont encore les Sauvages, ici, Iroquois, c’est-à-dire, pour l’essentiel, les non-occidentalisés, sont capables de l’Idéal, à la fois si simple et si complexe :
En France, il faudrait que celles et ceux qui SONT TELS et qui SONT CONSIDERES COMME TELS, les Indigènes de la République, ouvrent les yeux sur cette Fraternité Universelle à laquelle ils appartiennent, de fait et de droit, par l’Histoire passée et présente, et mettent en ouvre une nouvelle et autre Internationale. L’ouvrage de Thierry Galibert est convaincant, vivifiant. Il invite, notamment, à repenser l’Histoire, et, de ce point de vue, son ouvrage rejoint d’autres, des auteurs, des courants, qui entendent faire tomber les catégories et les murs du passé, si dépassés, et pourtant toujours imposés.
PS : l'ouvrage fait plus de 300 pages. Les deux notes publiées ici qui lui sont consacrées laissent volontairement dans l'ombre des parties, des développements, des analyses, des arguments, des auteurs, afin que le lecteur, la lectrice, ait le plaisir de découvrir les choses par lui/elle-même, ait des surprises, des plaisirs, non annoncés.