« Friends The Reunion » : qu’est-ce qui est pathétique ?

Il était une fois, 6 jeunes citoyens des Etats-Unis (3 jeunes femmes, 3 jeunes hommes), dont une voix off nous a dit qu'ils ont vécu un "conte de fées" urbain/américain, en représentant, sur les écrans de télévision du monde entier, 6 jeunes citoyens des Etats-Unis, réunis par la colocation. 10 ans après leur début, par des épisodes annuels de format court, ils se séparaient : les acteurs, devenus rentiers/retraités, pouvaient entièrement se dédier à leur vie personnelle, comme les personnages de la série étaient également censés le faire. Bref, les acteurs étaient, presque, comme leur personnage, et les personnages étaient, presque, comme les acteurs. Et pour ces "Friends", la série comptait désormais des millions de "fans", et notamment les fameux fans, les fanatiques. Pour ceux-ci, cette proximité, des acteurs avec leur personnage, des acteurs à leurs fans, était une vérité si fondamentale qu'elle justifiait toute leur amitié/amour pour cette série dédiée à l'amitié. Mais cette transposition était-elle crédible ? Matt Leblanc était-il si "Joey" ? Jennifer Aniston était-elle si "Rachel" ? Lisa Kudrow était-elle si "Phoebe" ?

L'émission spéciale "Friends The Reunion" est à voir, non parce qu'elle serait une émission réussie, mais parce qu'elle révèle ce que fut le cadre de production de "Friends" : des producteurs, des scénaristes/dialoguistes, des techniciens, tous ces techniciens qui firent l'être et les mouvements de chacun de ces personnages, tous ces techniciens sans lesquels ces acteurs et actrices n'étaient, rien. Matthew Perry a t-il autant d'humour que Chandler ? Etc… ? Non. L'infantilisme spectaculaire de tant de spectateurs, notamment parmi les fans, qui s'observe si souvent partout quand il s'agit de la représentation vivante (cinématographique comme télévisuelle), associe systématiquement l'être du personnage à l'être de l'acteur/actrice, alors qu'il n'y a, stricto sensu, aucun rapport, aucune relation de déduction ( d'autant que c'est le sens même de l'apprentissage du "jeu d'acteur" que d'apprendre à jouer un personnage si différent de soi). A l'occasion de la diffusion de cette émission spéciale, nombre de "fans" de la série ont, sur les réseaux sociaux, exprimé des jugements sévères sur, l'émission, sur un acteur, sur une actrice, à propos de leur physique, de leur expression, en les accusant d'être "pathétiques", COMME SI ce jugement ne les concernait pas eux-mêmes au premier chef : le culte de "Friends" et des actrices/acteurs de "Friends" est pathétique – l'expression d'une souffrance et d'un problème psychologique, cause de cette souffrance. Oui, ces 6 professionnels de la "comédie" ont eu du talent, mais ils ne furent pas, jusqu'à aujourd'hui, de grands professionnels, les fameux "grands acteurs", "grandes actrices", puisqu'ils ont ou stoppé leur carrière, ou ils l'ont continué, pour des oeuvres faibles, qui n'ont eu aucun succès ou qu'un faible succès (et pas seulement en regard de celui de "Friends"). Aucun des producteurs/créateurs n'a jamais été porté au pinacle pour cette série, alors qu'ils furent les véritables "génies" de cette série qui a privatisé l'amitié pour le monde entier.

Voilà bien un fait qui n'est jamais discuté : le fait que, par ce qu'elle est, cette série est typiquement américaine, capitaliste, dans la mesure où elle a mis la main sur la notion même de "l'amitié". Evoquer l'amitié dans les représentations, et dans les secondes qui suivent, une personne citera la série. Mais de quelle amitié parlons-nous ? Les personnages de la série vivent ensemble, que ce soit dans le même appartement ou dans un appartement à côté de l'autre. Et ils passent apparemment beaucoup de temps ensemble. A six, ils forment une unité, puisqu'ils parlent et agissent systématiquement les uns envers les autres. Quand d'autres entrent dans leur communauté, il faut qu'ils ou elles soient accepté(e)s, adoubé(e)s. Et leurs apparitions sont, rapidement, des disparitions. Les six sont intimement liés, les autres sont toujours vus comme "autres". Et, ensemble, de quoi parlent-ils ? Le lien entre les six, c'est "la blague permanente". Bien sûr, ces blagues sont liées à des affaires de vie, de coeur, mais elles restent des blagues. La page Wikipédia (pour rappel, Wikipédia n'est pas une source de haut niveau, mais, selon les sujets, les articles contiennent des éléments factuels qu'il faut connaître) sur la série fait la liste des thèmes qui sont au coeur de ces blagues, qu'elles soient régulières ou rares. Mais ce qui est intéressant, c'est ce que cette page ne peut pas lister, parce qu'il ne s'y trouve pas : le fait de l'actualité du monde – comme le 11 septembre 2001. Par eux-mêmes, les 6 ont formé une bulle dans laquelle les affaires et les tragédies du monde dont ils étaient contemporains n'ont eu aucun écho. Ces "amis" semblent n'avoir aucune amitié pour le monde. Ce qui les préoccupe, c'est eux-mêmes, leurs relations les uns avec les autres. "Friends" est de ce point de vue là, aussi, "pathétique", dans la mesure où elle représente une réduction du communautaire sur les plus petits dénominateurs communs, avec, pour que ce communautaire tienne, l'interdiction de parler de ces affaires et tragédies, de "politique" – ce qui évoque, en effet, ce qui dans la vie conduit souvent à la fin des amitiés/amours. Pour être heureux, il ne faut plus du tout vivre cachés, puisqu'il faut se représenter aux yeux du monde entier – "Friends" a précédé les réseaux sociaux et les outils de représentation de soi, tout en incarnant, à l'avance, cet exhibitionnisme (sans jugement) de soi. Il ne faut plus du tout vivre cachés, mais il faut se cacher le monde pour être heureux.

Mais est-ce viable, vivable ? Comme si leur personnage de jeune femme, jeune homme, ne pouvait être abandonné, des acteurs et des actrices de ce groupe ont requis de professionnels de "l'esthétique corporelle" et surtout "faciale" des interventions dont les résultats sont aux antipodes de ce qui s'appelle "esthétique". Il est étonnant que, face à de tels attentats, il n'y ait, aux Etats-Unis, aucune "class action" contre les responsables/coupables de ces actions inesthétiques – dont ils n'avaient nul besoin, puisqu'ils bénéficiaient, de naissance, d'un physique plutôt avantageux. Pourquoi là aussi cet autre "pathos" américain ? Lorsqu'une personne se fait attraper par les miroirs de la vie "en représentation", ces échos indéfinis de l'égo finissent par rendre fou, puisque tout détail peut prendre une proportion sans rapport avec sa réalité. Il faut en finir avec cela, puis avec cela, et pour se faire, ces professionnels escrocs de l'inesthétique gélifient des zones du visage, c'est-à-dire d'une forme mouvante, qui est ce qu'elle est parce qu'elle est mouvante, notamment pour les professionnels de la comédie/tragédie. Résultat : ces zones immobilisées/gélifiées se retrouvent cernées par des zones mouvantes qui les travaillent, et qui finissent par faire craquer les surfaces, et du coup, il faut encore agir, et encore agir, et ces opérations à répétition finissent en tragédie. Mais si beaucoup, sur les réseaux, ont relevé ces difformités qui sautent aux yeux, beaucoup aussi l'ont fait avec peu de respect pour ces acteurs et actrices qui, pourtant, se sont laissés hypnotiser par ces mirages, à cause de leurs "fans" et de toute cette pipeulocratie, qui passe ses semaines à lire des magazines consacrés à la vie des "stars", et beaucoup l'ont fait avec des termes lourds, pénibles, comme si, eux sortaient de la cuisse de Jupiter, aussi beaux et parfaits que des Dieux et Déesses mythologiques. Si les comptes des réseaux font écran, la réalité est la vérité de cette passion de mal juger les autres.

Rentiers à vie de "Friends", il faut aussi reconnaître qu'ils en sont devenus piégés par leur personnage et par la série. Dans l'émission spéciale diffusée il y a quelques jours, seule Lisa Kudrow a exprimé clairement une protestation contre ce danger et cette folie. Cette émission, ses producteurs ne se sont pas foulés pour la produire : ils sont allés à la facilité, comme ils l'ont trop souvent fait à l'époque de la diffusion de cette série, entre 1994 et 2004. S'il y a parfois des scènes très drôles, il y a beaucoup de scènes qui sont "malaisantes", comme on l'entend aujourd'hui. Outre le fait que les personnages principaux étaient tous et toutes, blancs, et que parmi les autres personnages, ceux d'une autre couleur de peau furent rarissimes, nombre d'épisodes et de scènes représentent des jeunes gens qui ne veulent pas grandir. Mais si les acteurs et actrices n'ont aucune part dans les réussites de la série, ils n'en ont aucune dans ses échecs, dans ses problèmes structurels. Ils étaient là. Ils ont fait ce qu'on leur a dit de faire. Et voilà. Rien qu'avec leurs souvenirs, l'émission spéciale aurait pu durer des heures. Finalement, ce "pathétique" est de courte durée. Mais il y avait plus et mieux à faire : un véritable épisode 15 ans après, un épisode avec les seconds rôles, un épisode où, exceptionnellement, ils auraient évoqué la politique américaine, et un épisode-fête, qui aurait été beaucoup plus large dans ses prétentions comme dans sa composition. Là, austérité covid oblige, vous avez du minima. Et ce n'est pas drôle du tout.

Pour conclure, s'il y a bien une chose dont dans cette émission spéciale on ne parle JAMAIS, c'est d'argent. Mais, étant donné ce que l'on sait sur ce programme, une des rentes les plus impressionnantes au monde, n'est-ce pas, là aussi, "pathétique" ? Comment ont-ils osé demander et/ou prendre deux millions et demi de dollars chacun ? Sachant que la question vaut tout autant pour les producteurs… Et pourquoi sur les réseaux sociaux          soi-disant si virulents, personne ou si peu ne leur reproche cela ? ! 

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Chicos
Chicos
3 années il y a

Bravo ! Oui, bravo pour le style mais aussi bien sûr pour le fond et donc la description des tenants et des aboutissements de cette série américaine qui a fait le tour du monde probablement. Merci pour le développement des idées dans un monde où seuls comptent la cupidité et la réussite par l’argent et, par là, l’avilissement par la monnaie de quelques-uns pour quelques-uns. Avec, à la clef, la déraison des sommes astronomiques bien que la justification de l’amoncellement d’argent dans des proportions incommensurables soit toujours prétendue. Dans ces lignes, serait-ce finalement la philosophie de l’humain ainsi tracée ?
Merci pour ce texte qui, in fine, trace l’avidité, seule moteur presque principal de l’existence de bon nombre d’humains actuels – mais pas de tous – dans nos sociétés dites développées ?

moustik2
moustik2
3 années il y a

je note malgré les multiples arogances de ce monde l idéologie qui constitue a croire car le fondement de l esprit n a pu encore savoir et comprendre que malgré ses aléa s sa vie n est que misére car il sombre dans la misére qu il ignore sa fin et plus exactement sa viellesse faute de bn avoir profité et de s abreuver de sa belle jeunesse ,il ne peut savoir quel temps précieu il perd en ce moment tout ces moment idilique qqui ne referont jamaais un semblant de surface c est pour cela qu il faut savourer ce temps qui nous déposédera de ce quer l on ignore encore en ce moment cette richesse qui n est pas encore coté dans l intellect car la projection « normalisé  » empéche de comprendre ce gaspillage idéologique qui se situe dans une convoitise inéxacte du temps (l étre doit étre dans son moment pour en savourer les disgrasces et comprendre qu il eu été beau ou belle ,il est térrible et térrifiant de le comprendre 30 ans aprés ,l idéologie dans l etc ne fera jamais apparaitre le temps PERDU QUI AURAIT OUBLIé DE SE SUBLIMé A L INSTANT DE SA BEAUTé de l instant (une richesse que le con ne peut s approprié )……….

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