Dans la présentation de cet ouvrage, il est indiqué que l’une des intentions qui déterminent son existence et son contenu, est de «relier les luttes émancipatrices des catégories concernées», par les «dominations d’origine, de genre, liées au statut social». «Urgence antiraciste» est donc un ouvrage qui, à priori et à postériori, provoque une crise d’angoisse et de panique chez les Zemmour et consorts. Sous-titré «Pour une démocratie inclusive», il s’agit donc de s’opposer, clairement et radicalement, à cette République qui a ses inclus et ses «exclus», que ceux-ci soient à la rue ou à la porte des «lieux de la République», en raison du racisme social qu’ils subissent. La «République Française» est un régime de s-élection sociale dans lequel les «élections» sont à l’image du système, à savoir une organisation qui favorise le cens, les «bien-nés» qui se transmettent des charges, des titres, des «responsabilités» ou de manière dynastique, ou par l’entregent d’un «réseau», inter-familial, comme «maçonnique». Ce sont 17 auteurs qui, en plus de Martine Boudet, coordinatrice de la publication, ont fourni, chacune, chacun, et de différentes origines, une pierre à l’édifice de cet appel, de cette injonction (liste ci-dessous). Dans la France où le racisme social et le racisme sévissent, en couple et durablement, depuis des décennies, et, dans un monde où, d’un côté, les populations deviennent de plus en plus croisées, «métissées» et tolérantes, de manière inversement proportionnelle à des «leaders» qui, comme Donald Trump, instrumentalisent au maximum le racisme pour imposer leur racisme social, il y a en effet «urgence», puisque, malgré le recul significatif du racisme dans les populations anciennement affectées/infectées par des blocages, pour l’essentiel volontaires, ceux-ci permettent que ce racisme-racisme social se maintienne à flot, et pourrisse la vie de certaines populations, comme nous ici, en France. Dans sa préface, Aminata Traoré déclare : «La décolonisation a occasionné une transformation importante et riche de promesses. Pourquoi le racisme d’État resurgit-il avec force et de manière si décomplexée maintenant, en ce début de 21ème siècle… ? » C’est que les phénomènes sociaux/vitaux sont des phénomènes de conscience, où «l’illusion» règne d’autant plus que des illusionnistes habiles les génèrent et les entretiennent. Il en va ainsi de la «décolonisation», romance historiographique narrée partout, notamment dans les Etats qui ont dû perdre des «colonies» alors que, via «l’économie», les entreprises, l’argent de la corruption, les réseaux, ces mêmes Etats ont su maintenir peu ou prou (ou pire encore parfois) le contrôle politico-économique qui caractérisait leur «pouvoir colonial». De «décolonisation», il faut bien le voir, le reconnaître, même si pénible que cela soit, il n’y a pas eu – puisque, désormais affublés de maîtres «locaux», ceux-ci ont, sauf exception provisoire, continué le travail, sur les règles, signes, des colons – de la «fonction publique» aux «armées» où tout ce qui déterminait le pouvoir colonial se trouve répété, reproduit, imité. Et quand des combattants tentent de vraiment libérer leur peuple colonisé de cette tutelle maudite, il se trouve des pantins, mercenaires, pour accepter des paiements en liquide, pour faire assassiner un Patrice Lumumba, ou un Thomas Sankara ou un Muammar Kadhafi. Et, en France même, le racisme d’État ne resurgit pas, puisqu’il n’a jamais cessé de fonctionner, y compris dès la Libération, avec le soutien apporté par les pseudo «nouveaux dirigeants» à une renaissante République dans laquelle nombre de responsables et coupables de fautes, de crimes, dans la collaboration, ont été maintenus, ou même promus, ce que les «Alliés» anglo-américains ont violemment imposé aux Grecs, et qui a été «caché» à la Libération en France par l’apparente position de force du PCF. Et nous pouvons donc dire avec Aminata Traoré qu’il est en effet «plus facile et plus commode pour les dominants qui ne veulent pas renoncer à leurs privilèges de s’attaquer à l’Autre plutôt que…», et c’est parce qu’ils sont dominants, et comme ils sont dominants (qu’ils se sont battus pour avoir des privilèges durables), que «l’Autre», ce sont les autres qui n’appartiennent pas à leur classe, qu’ils soient Blancs, Noirs, Arabes, etc. C’est pourquoi les «racisés» comprennent aussi des Blancs, dans la mesure où la «ségrégation, la hiérarchisation et la stigmatisation» sont, de la part des dominants, pour l’essentiel, blancs, mais pas seulement, l’expression de leur domination ET de leur mépris, ou pire, envers «les pauvres», que le FN désigne sous un vocable unique, les «immigrés», en tant qu’ils sont les symboles de ces pauvres qui, ô scandale, osent s’organiser, faire «communauté», s’entraider, ne pas imiter les maîtres, en matière de vêtements, de religion, c’est-à-dire du Code national-social. L’un des objectifs de l’ouvrage, et, au-delà de l’ouvrage, du travail commun exprimé et engagé dans cette publication, est de construire un «mouvement qui s’attaque tout à fois aux racismes, au sexisme et à la domination socio-économique», et ce afin de faire face à la «lame de fond réactionnaire et au monde de Donald Trump». Dans le chapitre intitulé «la nécessaire désaliénation du coloni
sateur», Nils Andersson rappelle ce qui est désormais mieux établi, connu, le pénible «consensus européen», de «dirigeants», même prétendument «républicains», comme en France, le célèbre Jules Ferry, sur la supériorité d’une race, tantôt européenne, tantôt seulement anglaise, ou française, ou allemande, puisqu’il y eut de la concurrence dans la prétention, et dont on connaît le funeste sort qui attendait des millions d’Européens, pour l’immense majorité, «racisés sociaux», envoyés à la boucherie de la Première Guerre Mondiale, puis aux massacres de la Seconde, avant que les prétendus «Seigneurs» aryens ne soient écrasés par une armée internationaliste, l’Armée Rouge. De ce racisme social et racisme, peut-on en parler à nos élites aujourd’hui ? L’entendent-elles ? Le reconnaissent-elles ? Ou sont-elles dans le déni ? Il semble bien que la vitalité et la colère «réactionnaires» audibles dans tous les médias qui sont à son service, reposent sur une telle mise en cause, historiographique, mémorielle, et donc politique, qu’ils n’entendent pas accepter de reconnaître. C’est comme si les dirigeants allemands actuels venaient contester la certitude de l’existence du projet et des actions nazis visant à faire disparaître entièrement des peuples et des groupes. Ce «révisionnisme-négationnisme» sévit, dans cette négation, comme dans l’occultation de la «Commune de Paris», matrice des principales «innovations sociales» récupérées par la III République, première en expansion coloniale, et ce très certainement uniquement pour acheter une «paix sociale» qu’elle entendait utiliser pour faire de ses «Républicains méritants» passés par la toute première école de masse de la République, des fonctionnaires consciencieux dans les comptoirs coloniaux, au service des intérêts privés du MEDEF de l’époque. Le même auteur a parfaitement raison de constater que, certes, si «le racisme» est, hélas, planétairement, un phénomène global, qui affecte, activement et passivement, une multitude de peuples et de personnes, «nul autre que l’homme blanc n’a affirmé aussi longtemps et d’une manière aussi absolue, sa domination sur les autres populations», mais ce n’est pas «l’homme blanc» en tant que tel, abstraction d’un type, mais une classe blanche, ce que j’ai appelé dans mon essai «Du racisme social en Europe et par extension dans le monde», une «classte» (néologisme qui fusionne la «classe», catégorie occidentale, avec la caste, catégorie originairement aryenne-hindoue), contre laquelle les premiers colonisés ont lutté pendant des siècles, à savoir les pauvres en Europe, des jacqueries jusqu’à la Commune, en passant par les égaux de Baboeuf, des «hérétiques» organisés en communautés «communistes», comme le raconte parfaitement Robert I. Moore dans ses indispensables travaux et ouvrages. Mais ces premiers colonisés sont restés des dominés, puisque, à date régulière, leur insurrection a été écrasée dans le sang par ces «dominants» qui prétendaient avoir tant de «classe», comme les Versaillais l’ont fait contre les Communards, qui n’ont sans doute pas pressenti que la haine des Versaillais contre eux était telle qu’elle allait les conduire à un génocide local (en effet, si «la Commune» avait eu une dimension nationale ou quasi, combien d’assassinés aurait-on compté parmi les Communards?!). C’est que si les Communards l’avaient emporté, et à Paris et en France, la marche coloniale de la 3ème République aurait été, quasi certainement arrêtée – laissant, certes, le «terrain» aux Anglais, Allemands, Belges – et tant mieux, puisque la France dite «républicaine» n’aurait pas autant exploité, commis de crimes, aurait disposé de plus de forces pour affronter elle-même l’Allemagne impériale, puisque celle-ci lui aurait imposé, à coup sûr, une nouvelle guerre. Les conséquences de la défaite communarde, comme de l’écrasement des rares et vrais révolutionnaires en 1794, ont été multiples, énormes, terribles. C’est que, avec le colonialisme, avant limité à l’Europe elle-même, puis étendu au monde, ce sont des criminels, en col blanc, qui ont été soutenus, comme aujourd’hui, ils le sont encore, via la sacro-sainte «entreprise». Le chapitre de Paul Mensah sur «6 décennies de néocolonialisme fascisant» est terrible à ce sujet.