Accusés d'être des suppôts de Satan, des enfants de Kinshasa sont chassés de leur famille et violentés. Avant de fuir dans la rue.
(De Kinshasa, RDC) Difficile de distinguer les corps endormis pêle-mêle sur le sol de béton. C'est encore une nuit sans électricité au centre d'accueil pour enfants de la rue de Matongue, à Kinshasa. Ruisselant du bain qu'il vient prendre ici chaque soir, Patrick, alias Michigan de son nom de « terrain », l'identité qu'il s'est choisie pour la rue, me mène vers ses congénères encore éveillés.
Sous un préau qui fait office de salle de classe la journée, une quinzaine de garçons de la rue, « schegués » ou « phaseurs » comme on les appelle en République démocratique du Congo, plaisantent avec leurs éducateurs du foyer Père Franck, gardiens de leur sommeil ce soir. Parmi eux, le jeune Sankas 13 ans, dans la rue depuis l'âge de 8 ans :
« C'est maman qui m'a chassé. Parce que je mangeais trop. Je réclamais. On m'a injurié et frappé avec un bâton pour que je dise que j'avais la sorcellerie.
Maman m'a amené à l'église de Bima [Eglise évangélique de la commune de Bumbu ndlr]. Là, on a dit que j'étais un sorcier. On m'a mis de l'huile sur les yeux pour me délivrer. Mais quand on est rentrés à la maison, maman a pris mes habits et m'a dit de partir, que j'étais un sorcier. »
Comme 80% des 30 000 à 50 000 mineurs qui mendient, travaillent, enfantent et dorment dans les rues de Kinshasa, Sankas a été chassé de sa famille (au sens élargi) après avoir été accusé de sorcellerie par une Eglise indépendante.
Une réalité sociale banale et acceptable
Plus de 7 000 dans la capitale congolaise, elles sont devenues un rouage essentiel dans le processus qui mène de nombreuses familles kinoises à abandonner leurs enfants. En procurant une caution spirituelle aux familles inquiètes, ces communautés aux inspirations diverses et combinées, souvent stigmatisées sous le nom d'Eglises de réveil (PDF), ont transformé, en moins de vingt ans, un phénomène restreint en une réalité sociale banale et acceptable.
Absence de services de base, d'assistance sociale, d'Etat tout court : les familles sont souvent désemparées face à la multiplicité des problèmes qu'elles affrontent (accident, maladie, mort, perte d'un emploi… sont souvent à l'origine des accusations).
Les Eglises sont devenues un repère local fondamental. Répondant à un besoin bien réel de soutien, les pasteurs affirment d'ailleurs fournir un remède efficace à ces foyers en crise. Mais de fait, ils initient et participent à une escalade de violence qui mène les enfants jusqu'à la rue, dont le quotidien brutal, entre loi du plus fort et débrouille, paraît alors plus supportable.
Les petits suppôts de Satan, des fardeaux dangereux
via www.rue89.com