Pour Christophe Gin, la Guyane reste une colonie | L’Humanité

Le photographe, lauréat de la 6e édition du Prix Carmignac du photojournalisme, a scruté ce Far West tropical 
pour traiter du thème des « zones de non-droit » en France.

La première surprise du 6e prix de la Fondation Carmignac, exposé à la chapelle des Beaux-Arts de Paris et à la Saatchi Gallery de Londres, ce fut l’énoncé du reportage, qui, circonscrit depuis sa création en 2009, à Gaza, au Pachtounistan, au Zimbabwe, à la Tchétchénie, à l’Iran, et bientôt, en 2016, à la Libye, devait, cette année, se pencher sur « les zones de non-droit en France ». Faut-il que les clichés aient la vie dure pour qu’on ait alors, à tort, pensé à nos banlieues, imaginant en outre combien y photographier serait compliqué !

L’annonce du lauréat, Christophe Gin, choisi à l’unanimité par le jury parmi une centaine de candidats, et faite en septembre dernier, au festival de photojournalisme « Visa pour l’image » de Perpignan, en étonna encore plus d’un. Le récipiendaire de la bourse de 50 000 euros n’avait pas travaillé dans les quartiers, mais en Guyane, région française qu’il fréquente depuis quinze ans ! Connu à la fin des années 1990 pour un formidable travail d’auteur sur le quotidien oppressant de Nathalie, jeune mère de quatre enfants combattant la misère, Christophe Gin, alors membre de l’agence Vu, avait, pour beaucoup, disparu des radars. Depuis 2002, il avait choisi de s’immerger dans ce bout de France, dont le bagne a été dénoncé par Albert Londres, ne ralliant Paris que pour honorer des commandes lui permettant de poursuivre financièrement ce travail au long court, devenu pour lui nécessité.

Une esthétique très affirmée insiste sur les enjeux formels

Sur les cimaises de la chapelle des Beaux-Arts, ses 35 photos en noir et blanc aux formats variés, parfois très grands, avec ou sans marie-louise et prises entre décembre et mars derniers, dans l’atmosphère très brumeuse de la saison des pluies, créent un choc. Car l’écriture des débuts, anti-spectaculaire, au plus près du documentaire, fait place à une série dont l’esthétique très affirmée, avec ses camaïeux de gris et sa densité dramatique, insiste sur des enjeux formels, devenus semble-t-il essentiels. Une façon sans doute de nous faire éprouver la saturation d’humidité, la claustrophobie, la langueur pesante régnant en ce huis-clos tropical perdu.

Pourtant, les choix plastiques de Christophe Gin ne noient pas le propos d’une série au titre coup de poing : Colonie. Pourquoi colonie ? Déjà parce que la Guyane n’a obtenu le statut de département français qu’en 1946, et encore pour sa seule zone littorale, le territoire intérieur de l’Inini gardant, jusqu’en 1969, le statut de « nation indépendante sous protectorat ». Une colonie dans une ex-colonie, conçue et construite comme une colonie pénitentiaire et dont les habitants, victimes d’un manque évident de continuité républicaine, accusent un énorme retard de développement.

Que voit-on sur les images de Christophe Gin, prises au plus près des gens, sur un territoire impénétrable, où les distances se comptent en jours de pirogue ? Des populations autochtones restées proches de la nature, mais déracinées, dépendantes du RSA, et que la République tente d’intégrer par décret dans une région qu’elle normalise ; des ressortissants étrangers, souvent clandestins ; des frontières passoires, aux confins de la France, du Brésil et du Suriname, dans une forêt équatoriale incontrôlable ; un pont qui, absurdement fermé à la circulation, est un mur de plus érigé dans le monde, séparant des populations vivant depuis des siècles au bord du même fleuve ; une ruée vers l’or qui dégénère

via www.humanite.fr

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