HD. 130 morts, plusieurs centaines de blessés, un peuple meurtri : comment réagissez-vous à ce bilan dramatique ?
PHILIPPE MARTINEZ. Comme n'importe quel citoyen, j'ai été profondément marqué par l'horreur des attentats. Ces attaques ne visaient pas des personnalités, ou la liberté d'expression comme cela a été le cas pour « Charlie Hebdo » en janvier, mais des lieux de vie, de culture, d'événements sportifs, bref, tout ce qui fait la richesse de notre quotidien. Comme d'autres, la CGT a été frappée en son coeur : trois de ses membres sont décédés, dont la dirigeante d'une structure territoriale, qui avait une histoire particulière puisqu'elle était arrivée en France pour fuir la dictature chilienne.
Cela dit, je pense qu'il faut souligner le réflexe citoyen de la population au moment du drame. Beaucoup de gens ont spontanément ouvert leurs portes pour recueillir des blessés chez eux, venir en aide aux victimes. La solidarité a fonctionné. Il faut également saluer le travail des personnels de la sécurité et des services publics tels que la santé, pourtant mise à mal par les coupes budgétaires. De nombreux professionnels sont retournés au boulot ce soir-là, parce qu'ils savaient que la gravité de la situation l'exigeait.HD. Marisol Touraine, ministre de la Santé, a annoncé qu'elle allait débloquer 3 millions d'euros pour verser des primes exceptionnelles aux personnels de l'AP-HP…
P. M. Tant mieux, mais on auraitaimé que cette reconnaissance arrive plus tôt. Il y a beaucoup de conflits sociaux à l'hôpital en ce moment, sur des questions de temps de travail ou de prise en compte des qualifications professionnelles. Saluer l'engagement des personnels de santé dans ces moments terribles est une bonne chose, mais il faudrait le faire tous les jours !
HD. En ce moment, le pouvoir socialiste voudrait construire une sorte d'union nationale autour de sa rhétorique guerrière. Pourquoi avoir fait le choix, à la CGT, de briser cette union nationale, en mettant en cause la stratégie du gouvernement ?
P. M. Le concept d'union nationalene fait pas partie des valeurs de notre pays. La fraternité et la solidarité, oui. Mais l'union nationale, c'est autre chose. Nous sommes frappés par des attentats d'une gravité inédite. La seule réponse de ce gouvernement est de déclarer la guerre. Loin d'être efficace, cette stratégie nous paraît même contre-productive. Ces dernières années, les gouvernements ont souvent fait le choix de la riposte militaire, depuis l'invasion de l'Irak après les attentats du 11 septembre 2001, à laquelle la France ne s'était pas associée, jusqu'aux interventions récentes au Mali. S'il suffisait de bombarder le MoyenOr ient, c ela se saurait ! Au contraire, ces guerres ont entraîné un exode massif des populations vers l'Europe. Certains voudraient d'ailleurs nous faire croire que chaque réfugié serait un terroriste en puissance… On le voit bien : les bombardements accentuent les problèmes sans rien régler.
HD. Êtes-vous favorable à la prolongation de l'état d'urgence ?
P. M. Il y a évidemment besoin d'unsurcroît de sécurité, ce qui implique des moyens supplémentaires pour la police et la gendarmerie. Mais cela ne suffit pas. Il ne faut pas confondre renforcement de la sécurité, lois sécuritaires et restrictions des libertés. C'est pourtant ce qui semble se dessiner, lorsqu'on nous parle de multiplier les perquisitions à toute heure et en tout lieu, d'interdire les manifestations, d'étendre les assignations à résidence ou de renforcer les écoutes.
HD. La réforme constitutionnelle, qui vise en quelque sorte à banaliser l'état d'urgence, vous inquiète ?
P. M. Bien sûr. Attention aux amal-games : il ne faut pas restreindre les libertés individuelles et collectives au nom de la guerre. Face
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