A la fin de ce mois de mai, un film dédié à la personnalité de Lou-Andréas Salomé sort en salle. 3 périodes de la vie de LAS sont évoquées : son adolescence, la plus grande partie de sa vie d'adulte, et la fin de sa vie. LAS, polyglotte, a fait le choix d'une vie indépendante. Elle a été une "nomade", avant de revenir terminer sa vie dans son pays de famille, nationalité, langue, l'Allemagne, et d'y devenir, dans les années 30, une recluse, quasi, "emprisonnée", à la fois par son âge et par le régime nazi. Durant ses pérégrinations dans cette Europe fuie par des millions, immigrants vers les Etats-Unis, Rimbaud vers Aden et Harar, LAS a fait des rencontres, à l'occasion desquelles elle a noué des dialogues de vie. Que ce soit pour Nietzsche ou pour Rilke, elle fut cette partenaire de discussions, de débats, d'accords et de désaccords, dans lesquels les individus s'investissent totalement, leurs croyances affectives intimes. Ce film évoque ces relations amicales/amoureuses. C'est elle qui sut garder – la tête sur les épaules, la détermination, la maîtrise, pendant que l'un et l'autre sombraient, au contraire. Nietzsche qui, dans le livre "Ainsi parlait Zarathoustra", fruit de leur rencontre avortée, fait l'apologie du "philosophe qui danse" était bien trop rigide pour pouvoir digérer cette rencontre autrement que dans une "action littéraire" remarquable, puisque ce livre est le premier à mettre en avant, comprendre et mettre en cause le Manichéisme, duquel il nous recommande d'aller au-delà – "Par delà le Bien et le Mal". De ce qui a enfermé et piégé les Européens, dans la concentration d'un "camp" de la vie et contre la vie, ce Manichéisme/Gnosticisme, importé de ces Proche et Moyen Orient, l'intuition fulgurante de Nietzsche est qu'il s'agit de la Structuration d'un être-au-monde falsifié, malade, dont nous pouvons et devons sortir. Il est terrassé à la fois par la "Révélation", et par sa solitude, dans ce monde qui n'entend pas, contrairement à lui, la naissance des Monstres – Hitler et Dracula apparaissent en même temps… NIetzsche, LAS et Paul Rée se promènent, péripatéticiens modernes, dans les Alpes italiennes. Là où tout n'est qu'ordre et beauté – Luxe, calme, la volupté réside dans cette compréhension réciproque des je et des enjeux. Comme s'il anticipait cette rencontre, il écrivait un an auparavant "Le Gai Savoir". Nietzsche la demande en mariage, mais elle refuse. Et elle s'en va. Après cette rencontre, il s'enferme dans le choix d'un célibat solitaire. Jusqu'à sa folie, il ne rencontre plus de personnes capables de l'entendre et de le comprendre. Sa sensibilité physique augmente en raison de ses problèmes de santé, de vue, de son énergie cérébrale vampirisée par "les Idées". La folie se construit, jusqu'à l'effondrement de Turin, à l'occasion de la vision d'un cheval martyrisé. LAS est ailleurs depuis des années. Elle a rencontre le jeune poète RM Rilke. Plus tard, elle rencontre Freud. Elle est à l'écoute, elle raisonne posément, sérieusement. Pendant 40 ans, elle écrit des ouvrages sur des sujets majeurs. Elle parle de Nietzsche à l'oeuvre, écrit sur "Eros", sur l'être-femme (plusieurs ouvrages), sur la Russie retrouvée, avec Rilke. Mais ses origines aristocratiques, ses fréquentations, ses relations sociales, l'empêchent de prendre la mesure des souffrances et des violences, socio-économico-politiques – comme le prouve son hermétisme à l'égard des événements russes de 1917 et consécutifs à. C'est qu'une personne remarquable peut avoir beaucoup fait et donné, et ne pas être ou plus être à la hauteur d'une ex-intelligence – les identités changent, et, comme Nietzsche fou n'est plus que l'ombre de l'auteur de certaines de ses oeuvres, LAS est aussi devenue une "ombre" dans cette Europe des années 30 où elle disparaît même de la perception et de la représentation de la collectivité intellectuelle. Ce film nous parle de ce mouvement, avant, de cette énergie créatrice qui, en refusant le mariage avec F. Nietzsche, a, peut-être, fait un choix dramatique, pour lui, et pour nous tous, puisque nous ne saurons jamais ce que ce dialogue de l'un avec l'autre aurait pu "enfanter"…
Un film de Cordula Kablitz-Post, avec Liv Lisa Fries, Katharina Lorenz, Nicole Heesters, Alexander Scheer, Philip Haub, Julius Feldmeir, …(sortie le 31 Mai)