
Bien qu’elle soit une institution récente, l’Education Nationale en France a une histoire plus méconnue que connue, tant des citoyens que par nombre de celles et ceux qui, en son sein, enseignent. Evidemment, il est toujours possible d’être un(e) excellent(e) professeur(e), sans connaître cette Histoire. Le problème, c’est que le présent n’est pas seulement le cumul de tant de passés qui n’ont pas passé, mais que l’interprétation du présent est rendu plus difficile par le fait de ne pas mettre en perspective les temps. Une des conséquences de ce défaut de mémoire réside dans une interprétation de l’identité de ce Ministère, selon des principes progressistes, comme si, depuis Jules Ferry jusqu’à un ministre récent, ce Ministère avait été dirigé par des « humanistes », des équipes humanistes, avec un projet humaniste. L’étude précise de cette Histoire est, de ce point de vue, une douche froide. Mais la césure historique la plus décisive, pour les professeur(e)s de notre temps, réside dans le déclassement majeur subi par ceux-ci et celles-ci, dès lors qu’ils/elles ont cessé d’être structurellement respectés par une part importante du corps civique. La situation actuelle provient d’une alliance inédite, entre une classe politique réactionnaire et une partie du « corps social » qui passe ses nerfs contre les professeur(e)s, symboles de la fonction publique, de « la gauche », d’une intelligence qui prend en compte la pluralité des faits et des causes, contrairement à ceux qui promeuvent des explications simples et simplistes, qui se venge aussi des humiliations vécues dans le système scolaire, parce que, et pour des causes multiples qu’il faut connaître, il n’a pas été exempt de fautes, d’erreurs. Reste que, au regard de leur importance réelle dans le fonctionnement social en France, les professeur(e)s sont, de fait, humiliés, et sévèrement. Aucune profession n’a été autant et si profondément, attaquée, en 20 ans, comme celle des enseignants. De Claude Allègre à Jean-Michel Blanquer, en passant par François Fillon, chacun y est allé de ses attaques, qu’elles soient principalement discursives, publiques, ou qu’elles soient statutaires, salariales. Si une autre profession était autant ciblée et attaquée, comment ses travailleurs réagiraient-ils ? Derrière ces attaques, il y a, de fait, une haine contre les professeur(e)s. Il est particulièrement tragique que des personnes animées par une telle haine aient pu se voir confier de telles responsabilités. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé en France durant ces deux dernières décennies. Il est là aussi temps d’avoir le courage de le dire, d’en prendre conscience, de réfléchir aux causes de cette action réactionnaire massive, et de l’affronter, à la hauteur de cette agression.