Au Portugal, un café-philo expulsé de son lieu habituel, en raison de l’audace de penser et de parler contre un projet « économique » destructeur

Dans la fameuse Algarve, dans le sud du Portugal, une professeure (docteure en) de Philosophie, Maria João Neves (1), anime, et ce depuis plusieurs années, un café-philo mensuel. Et pour cela, elle avait trouvé un lieu, un Hôtel, pour y tenir, dans un cadre confortable, cette réunion si spéciale. En amont de ces réunions, Postal publie un texte par lequel elle présente le thème pour son prochain café-philo mensuel, et c’est ce qu’elle a fait, en décembre, à propos d’un projet de plaisance, puisque, en amont de cette réunion, elle publie ce texte intitulé « Criminalité environnementale« , dans lequel elle détaille les intentions connues et leurs conséquences environnementales. Quelques jours avant la tenue du débat mensuel, elle apprend que le groupe qui gère l’Hôtel déjà mentionné où se tiennent les réunions mensuelles, a décidé de ne plus accueillir ce café-philo. En amont du prochain café-philo qui, ce mois-ci, va se tenir le 19 Janvier au Club de Tavira, elle vient de publier ce texte, dont vous trouvez la traduction ci-dessous, et qui se trouve, dans sa langue originale, le portugais, ici, ci-dessous. Que ce soit la censure par le groupe propriétaire de l’Hotel à Tavira, comme par le propos de son texte ci-dessous, et par tant d’autres affaires dans les pays dits des « démocraties » en Europe, ces faits confirment ce que nous constatons partout : la diminution/régression des libertés publiques, civiques, les atteintes à la liberté de pensée et à la liberté d’expression, les attaques, à des degrés divers, contre les citoyens qui osent tenir tête aux pouvoirs étatiques et financiers. Notre publication est faite en soutien à Maria, aux citoyens du Portugal qui font face à ces pouvoirs et ne se soumettent pas à leurs exigences, principalement, de silence.

Il est intitulé, « Café Philo : Démocratie ?« .

Le mois dernier, en raison du sujet que j’avais décidé de traiter – « Le port de plaisance de Faro : crime environnemental ou alternative durable » -, il n’a pas été possible d’organiser le Café Philo dans le lieu qui l’a accueilli ces deux dernières années. La décision d’expulsion-censure a été totalement inattendue et résulte apparemment d’une collision entre certains intérêts commerciaux de l’organisation commerciale qui soutenait le Café Philo et la position défendue dans cet article concernant l’emplacement du Porto de Recreio de Faro. Il s’agissait d’un article d’éthique environnementale, basé sur des études scientifiques, jamais confronté à des stratégies commerciales, qui me sont également inconnues. Il ne m’appartient pas d’éveiller des soupçons sur ce qui pourrait être si grave qu’il justifie la censure d’un débat philosophico-environnemental. Le Café Philo est un espace de réflexion et de libre-pensée. En revanche, le Café Philo honore le principe du contradictoire qui régit toute juridiction démocratique moderne. Ce principe garantit la possibilité pour toute partie impliquée dans une affaire donnée de s’exprimer et d’être entendue. Cela signifie que si quelqu’un, citoyen ou institution, avait eu l’intention d’intervenir au Café Philo avec une position non seulement différente, mais peut-être contradictoire avec celle présentée dans l’article en question, il aurait eu la possibilité de le faire. Mieux, cette position aurait été particulièrement bienvenue. Cet impératif, disons, de ne pas tenir le Café Philo dans son lieu habituel, se traduit implicitement par une tentative de lui ôter toute légitimité, toute raison, tout droit, de la part de ceux qui n’ont pas voulu contredire, en invoquant des informations, des éléments ou des preuves que ce qui est affirmé dans l’article serait peut-être incorrect, invraisemblable ou attentatoire à la dignité de quelque chose ou de quelqu’un. Le fait que l’article n’adhère apparemment pas aux intérêts d’une organisation donnée ne peut servir de prétexte à une quelconque attitude discrétionnaire. Comprendre le sens de cette attitude n’est pas sans rapport avec le fait que le Portugal a une longue tradition d’autoritarisme (politique, social, culturel) dans son histoire récente, interrompue par la construction de la démocratie d’après 1974. La dérive autoritaire/populiste contemporaine, très présente dans les soi-disant « démocraties occidentales », n’est pas non plus étrangère à cette compréhension, constituant une menace réelle pour nos sociétés. La dégradation de la vie démocratique, l’émergence de fureurs xénophobes et racistes, parmi d’autres tragédies de notre vie quotidienne, est un thème primordial de réflexion philosophique. Quel est le sens de la vie quand c’est la négation de la vie qui se juxtapose à la paix et à l’harmonie sociale ? Au Portugal, nous nous souvenons aussi que « le crayon bleu » de la censure et l’absence de liberté d’expression ont limité et diminué tout le monde. Que ce soit par la violence, la dissimulation ou le chantage (par exemple à l’emploi), la censure et la coercition ont été, sont et seront toujours des phénomènes et des actions de même nature. Parfois, les menaces de représailles sont explicites, d’autres fois elles sont voilées, produisant une véritable autocensure. Dans le cas qui a déjà fait l’objet d’un débat, nous nous sommes interrogés sur le thème de la destruction d’une prairie marine – équivalente à 200 hectares de forêt brûlante – et du massacre de milliers de bébés de diverses espèces marines. Quel que soit l’angle d’analyse du problème, la réponse ne peut jamais être l’indifférence ; il est inacceptable pour la philosophie que cela ne constitue pas un conflit éthique ou, dans les moindres conséquences, un petit frisson d’hésitation et un élan de réflexion. Le dressage à ne pas penser, à se fermer, à considérer qu’il vaut mieux ne pas savoir et ne pas s’impliquer, le dressage à obéir aveuglément sont les formes anti-citoyennes qui nous contaminent inexorablement. Nous vivons une époque où la gloire et la faiblesse se rejoignent ! Je me demande si les guerres ne ralentiraient pas, si chacun osait réfléchir, discuter de la légitimité des ordres reçus… Dans la mythologie hindoue, le dieu Shiva, créateur du yoga, est représenté en train de danser et de marcher sur un sablier qui symbolise le mal et l’ignorance. Dans ces conditions, l’article (supposé controversé) dont je suis l’auteur visait précisément à dévoiler par la clarification – une modeste contribution à la lutte contre l’ignorance. Peut-être qu’une présentation argumentée d’arguments contraires à ceux que j’ai présentés aurait conduit à une discussion fructueuse et à la seule conclusion que je m’autorise à imposer à mon initiative : qu’en philosophant ensemble, nous aurions pu nous rendre compte que l’article est en faveur de nous tous – l’humanité et la planète – et que, par conséquent, les intérêts strictement privés ne sauraient primer sur les intérêts de la communauté, de l’humanité et de la planète. Je ne dramatise pas, c’est de cela qu’il s’agit. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, si le FC avait eu l’opportunité d’une réflexion contradictoire, peut-être aurait-il même pu parvenir à un consensus sur le fait que l’alternative durable présentée dans cet article serait très probablement capable de générer des dividendes plus importants, d’être une économie durable et d’embrasser l’environnement. Les entités publiques et les partis politiques, après avoir participé à des cafés philosophiques sur ce sujet (oui, ils ont eu lieu, deux à Tavira, en portugais et en anglais ; un à Faro qui a réuni près de 30 personnes) ont revu leur position. Parce que l’ignorance est souvent responsable des maux du monde, comme le savent les hindous depuis des millénaires, je partage ici la réflexion d’un des participants au Café Philo sur ce sujet : expulser les poètes de la ville, est une bonne question philosophique (je ne crois pas que nous en ayons jamais discuté). L’expulsion de la philosophie de la ville, qui n’a pas la même valeur métaphorique et philosophique que l’histoire des soi-disant « poètes », ne peut être une surprise. C’est-à-dire que la ville (pas la ville « idéale », mais celle qui nous façonne aujourd’hui) s’est passée depuis longtemps de citoyens, et donc de réflexion citoyenne. Tant que les actions et les idées de ceux qui l’habitent sont relativement anodines, personne ne remarque le malaise souterrain qu’elles contiennent. Mais lorsqu’ils remontent à la surface et provoquent une certaine érosion, le ressort de la vigilance et de l’autorité jaillit aussitôt. En cette année 2024 qui s’inaugure, nous célébrons les 50 ans du 25 avril. A quoi servent la révolution et les œillets quand la démocratie est en danger, quand l’autoritarisme sévit en nous ?

(1) Elle a publié, en portugais, cet ouvrage, à partir de son expérience des cafés-philo

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